Le jeu de l’effroi et de l’extase : sexe et identité

Mis en avant

Le fait qu’il existe des personnes qui soient attirées par le même sexe est une chance pour notre humanité. C’est une chance pour notre identité, celle par laquelle nous nous définissons et par laquelle nous sommes reconnus. Et c’est une chance pour le sens que nous donnons à notre existence, individuelle et collective.

Le fait qu’il existe des personnes qui soient attirées par le même sexe confirme que nous ne sommes pas des êtres définis par le biologique. Que nous ne sommes pas des êtres déterminés par notre incarnation, par le corps, par le biologique, par le sexe, par ses fonctions notamment reproductives et procréatives auxquelles on l’assimile souvent. Que nous ne sommes pas assimilables dès la naissance à une orientation univoque vers le sexe opposé, que notre appartenance apparente et biologique à tel ou tel sexe serait supposée nous conférer. Pas plus qu’en fonction d’un quelconque devoir mécanique de conformité à des constantes comportementales et anthropologiques, à laquelle cette appartenance irrévocable serait supposée nous astreindre.

Et pourtant, nous ne pouvons totalement révoquer d’un trait le réel. Nous sommes fondamentalement des consciences asexuées, comme les anges, certes ; mais nous sommes aussi, par choix ou par nécessité, des consciences incarnées, équipées d’un corps qui ne saurait être conçu comme totalement asexué.

Dans la majorité des sociétés, en particulier dans les sociétés occidentales, les êtres sont identifiés dès la puberté, et souvent dès la petite enfance, selon une identité sexuée, et donc un genre affirmé. Ils sont identifiés par leurs parents d’abord comme garçons ou filles ; et le plus souvent élevés comme tels, avec la conscience d’appartenir à un genre, de devoir apprendre à se comporter plus ou moins fidèlement aux stéréotypes psychiques et culturels attachés à ce genre.

Que ces modèles culturels soient ou non le seul élément éventuel d’un déterminisme psychique et comportemental associé aux genres importe finalement assez peu. Tout comme le primat donné au collectif ou au culturel sur l’individu ; ou à l’inverse celui donné à l’individuel sur le groupe, pour ceux qui prétendent l’émanciper d’une oppression dont il serait victime, afin de lui restituer sa vérité et sa liberté existentielles et singulières. Puisque ces notions sont essentiellement transitoires.

Une grave erreur serait cependant de nier le réel. Et donc la pesanteur de l’existence. Parce que nous existons, nous sommes propulsés dans une dynamique d’évolution, un impératif de transformation, mélange d’aspirations et de contraintes qui nous orientent vers un devenir. C’est le sens même de la condition humaine comme de l’existence elle-même : devoir surmonter défis et obstacles, inventer de nouveaux possibles et les matérialiser. S’extraire de la matière en quelque sorte, comme ces esclaves de Michel-Ange dont la forme surgit du marbre brut sous l’effet d’un musculeux effort d’extraction. S’éveiller à une réalité supérieure en la devenant, en la réalisant, en la nommant, en la partageant, en la transmettant…

Au contraire, s’entêter à rester invariablement le même, à répéter indéfiniment les mêmes schémas, renoncer à cette liberté intrinsèque pour être et agir par soi-même, pour s’affirmer, consentir à demeurer le jouet des déterminismes qui nous conditionnent, c’est précisément renoncer à exister.

Mais il est vrai aussi que le mythe romantique de la Liberté conçue comme principe essentiel, moteur ou but de l’existence, peut nous conduire à perdre la mesure même de cette existence. L’émancipation n’est pas une négation, une forme de nihilisme qui prétendrait vouloir abolir comme par magie tous les déterminismes. Ou plus exactement tout ce qui relève d’une nature qui nous est propre, mais aussi d’une culture qui nous définit en tant qu’êtres de relation et êtres sociaux.

On ne peut transcender l’incarnation, la matière, le biologique, l’existence ou le sexe en les niant. En les méprisant dans une nouvelle forme d’ascétisme qui prétendrait en faire abstraction au nom d’une vérité supérieure « constructionniste », définie par la seule volonté individuelle prétendument rationaliste, fantasmée comme un cogito dénaturé : je veux, donc je suis. On ne peut parvenir à s’affranchir qu’en les épousant et en les sublimant.

Nous avons tous un sexe. N’en faisons pas un motif de fierté ou de honte, d’exaltation ou de refoulement. Et surtout cessons d’opposer les sexes, avec tant de prétention à s’identifier à l’un et d’angoisse à se voir assimiler à l’autre. Le sexe, pour peu qu’il consiste à séparer (secare en latin) l’humanité en deux sexes opposés, avant éventuellement de les réunir, n’est d’ailleurs pas aussi binaire et hermétique que nos schémas normatifs voudraient nous faire croire.

Car il a toujours existé des anomalies « naturelles », et non seulement psychiques : des êtres qui naissent dans un corps hybride, à la fois mâle et femelle, hermaphrodite, doté de caractéristiques anthropomorphiques et sexuelles où se chevauchent de façon bizarre les deux sexes. Ceux-là font figure d’exceptions, d’aberrations ; ils sont souvent qualifiés de « monstres ». Leur existence dérange et interroge. Dieu commettrait-il des erreurs ?… De tout temps on a tenté de cacher, de rejeter, de rectifier ces « erreurs » de la nature. Parfois au contraire, on a cherché à les sacraliser, à les exalter comme la marque du divin. Le reflet d’une nature supérieure, affranchie de cette césure primordiale de l’humanité en deux sexes opposés et complémentaires. Une icône de l’Unité, de la complétude essentielle, dont nous ne serions que des ébauches inachevées et dérisoires.

Quand elle n’est pas aussi radicale que dans le cas de l’hermaphrodisme, cette conjonction de deux sexes dans un même corps, l’androgynie suscite tantôt l’effroi, tantôt la convoitise. Dans les sociétés patriarcales, qui exaltent le modèle masculin, celui de l’homme viril, du guerrier, l’androgyne est souvent méprisé comme un sous-homme, un efféminé, un être scandaleux qui déchoit de sa caste, de son rang, parce qu’il s’assimile, comme le travesti, à une femme, et donc à un être inférieur, destiné à être dominé et relégué à un rang subalterne. Comble de la honte et de l’ignominie. Surtout si l’efféminement se double d’une propension à s’assimiler dans l’acte sexuel au rôle femelle, au rôle passif, en étant dominé par un autre homme. Les sociétés et les religions patriarcales ont toutes plus ou moins violemment condamné cela. En excluant ceux qui se rendaient coupables de tels vices, les assimilant à des êtres impurs, déchus ou pécheurs.

Ailleurs au contraire, ces êtres ambigus peuvent susciter désir et admiration. L’éromène, jeune garçon à peine pubère, imberbe et efféminé, stimulait dans la Grèce antique le désir d’un éraste, homme mûr qui le prenait sous sa coupe pour l’initier au statut d’homme accompli, de guerrier et de citoyen instruit. Aujourd’hui aussi certains jeunes hommes travestis, efféminés ou ambigus suscitent le désir d’homme plus âgés, pourtant mariés et qui s’identifient comme hétérosexuels.

Le jeu à la frontière des genres a toujours été un motif ambivalent d’amusement, de curiosité et d’excitation, autant que d’angoisse et de réprobation. Comme si une société saine ne pouvait se maintenir en équilibre dynamique sans un certain degré de permanence des repères, et un certain degré de tolérance dans le brouillage de ceux-ci. Un point d’équilibre mouvant entre l’ordre et le chaos.

Finalement, le sexe est l’un des éléments qui participe de ce jeu relationnel, existentiel et sociétal fait de masques, de rôles et de faux-semblants. Un jeu qui révèle et dissimule être et non-être, je suis et je ne suis pas. Un jeu qui rend présent le mystère de la vie davantage par ce qui se dérobe que parce que qui fait mine de s’affirmer. Avec ces masques et ces apparences qui rendent possibles et licites autant d’expériences, de permutations, de questionnements troubles et de réponses inabouties. Une chorégraphie sensuelle au-delà des mots qui préserve l’être profond en quête de lui-même, de sa vérité comme de La Vérité, de la tentation de se perdre ou de s’assimiler.

En somme, c’est le jeu et la conscience de jouer un jeu qui rendent possible le fait d’exister consciemment, et qui donnent tout son sens à la posture de l’existant : celui en train de réaliser sa propre expérience de soi-même, en s’expérimentant avec d’autres dans des relations faites de masques imparfaits et toujours changeants.

Ainsi on ne saurait s’assimiler à son être sexué pas plus qu’à son corps, à ses viscères ou à ce qu’on croit posséder entre les jambes. Encore moins à l’identité sexuelle de ses partenaires ou de ses fantasmes. Tout ceci n’est qu’affaire de masques et d’intensité. Tout ceci est relatif et fugace. Plus encore, tout ceci n’a aucune existence intrinsèque, laquelle aurait un rôle déterminant sur ce que ou Qui nous sommes.

Je est un autre. Notre identité sera toujours autre et fugitive, inaccessible car bien au-delà de ces apparences passagères, de ces rôles milités mais limités, de ces discours clos qu’on plaque maladroitement sur nos expériences vécues. Car tout cela n’a aucun sens en soi. Cela n’a de sens éventuel que celui que nous convenons de lui donner, passagèrement, puisque que nous sommes tous ici passants.

Dire de quelqu’un « TU ES CECI » revient à commettre un meurtre. A le crucifier littéralement au bois de nos mots morts. Dieu lui-même n’affirme-t-il pas de la façon la plus radicale, la plus mystérieuse et essentielle : « JE SUIS » ? Car Dieu n’a ni nom ni qualificatif : il EST. Sujet par excellence, il ne peut être objectalisé ni statufié. Dieu n’a pas besoin d’exister puisqu’il Est ! Et pourtant Dieu est Relation : il n’a pas besoin de sexe, il n’a pas besoin de faire l’amour : il est Amour.

Et puisque nous aussi nous sommes des dieux, au nom de quoi devrions-nous nous crucifier ou nous laisser nous-mêmes crucifier, en nous laissant revêtir d’une identité dite, et donc morte ?

Qualifier nos expériences, ce n’est pas qualifier notre être. Affirmer notre ressenti, nos émotions, nos sentiments, nos goûts, nos préférences, nos exaltations et nos renoncements, c’est laisser parler notre âme. Et nous permettre d’aller au-delà de l’instant. Sans quoi nous n’existerions à ce monde qu’à l’état virtuel. Mais s’identifier à eux, s’est se noyer ou se figer dans la pierre, alors que l’expérience est un gué pour enjamber les eaux du possible, et leur donner l’apparence transitoire et sublime d’une consistance.

On pourrait résumer toute la vanité et la richesse du sexe en affirmant que c’est une illusion nécessaire. Le sexe n’est-il pas au plan existentiel, avec la mort, l’icône de la Séparation ? Cette sublime illusion qui brouille la lumière de l’existence en piégeant la conscience dans la croyance de ce qui n’existerait pas.

Car rien n’est jamais ni n’a jamais été séparé de rien. Pas plus les âmes de Dieu que les âmes entre elles. Nous sommes tous des manifestations de l’indissoluble Unité de ce qui Est, des consciences provisoirement individuées et localisées issues de la Conscience et destinées à y retourner. La mort n’existe pas, sauf pour ceux qui s’identifient à leur corps physique. La mort est ce qui nous permet de retourner en quittant définitivement ce corps à la Source, et à cette indissoluble Unité.

De même le sexe est ce qui divise l’humanité en deux sexes apparemment opposés : mâle et femelle. Sexes qui pourront revenir à leur unité primordiale en acceptant de jouer les rôles d’homme et de femme sexués, et en faisant ensemble l’expérience de cette petite mort (à soi-même) : un passage éventuel et furtif vers l’Infini : cette autre dimension qui transcende l’existence incarnée.

Il y a d’autres façons de faire l’expérience au cours de l’existence de cette mort de l’ego. Mais le sexe est celle qui est la plus universellement accessible au plus grand nombre. Le sexe est ce qui permet de rentrer quasi instantanément en communication avec les grandes profondeurs de l’autre. Et éventuellement d’accéder au Tout Autre. Ne dit-on pas d’ailleurs dans la Bible connaître l’autre pour parler de deux êtres qui font l’amour ? Sexe et sacré sont indissociables. Nos sociétés hygiénistes, scientistes et utilitaristes ont commis un péché déicide en faisant du sexe une fonction vouée à la jouissance comme à la procréation. Et en enfermant l’une comme l’autre dans des éprouvettes. Alors que c’est le langage non-verbal le plus universel et le plus puissant jamais inventé pour communiquer en ligne directe avec le Sacré ! C’est aussi pour cette raison que toutes les sociétés se sont efforcées de le codifier, de le ritualiser, de l’endiguer et le contrôler, et pour cela de légiférer à son sujet, en le peuplant d’obligations et d’interdits.

Le sacré désigne dans les sociétés ce qui est séparé, mis à part. Or le sexe est précisément ce qui sépare. Pour chaque individu qui naît, c’est le B-A-BA de l’identité assignée, de la persona : garçon ou fille ? Et voilà le petit d’homme à peine né assigné à un clan, à un rôle, à un destin. Il ne pourra réintégrer sa plénitude d’être complet qu’en rencontrant l’autre, et nouant commerce avec lui. Selon une conception binaire de altérité construite autour de la différence sexuelle, matrice anthropologique de toutes les différences existentielles.

Être un homme ou une femme, c’est un destin existentiel qu’il faut désormais assumer, au risque sinon de ne pas être reconnu comme un « humain ». Gare à ceux qui s’égarent par-delà ces assignats de genre, qui dérogent à l’impératif marital ou reproductif, ou qui ne cadrent pas avec les stéréotypes ! Ceux-là sont des démons ou des dieux. Dans les deux cas, ils sont un danger pour la survie du groupe et pour l’ordre établi.

Vivre le sexe, ce n’est pas se couler dans un rôle pour ne plus en sortir, c’est au contraire l’accepter et le faire exploser. C’est jouer avec cette illusion de la différence et donc de la séparation, ou au contraire jongler avec les similitudes pour révéler les différences, et rencontrer vraiment l’autre, le sujet, au-delà de toute forme d’objectalisation à laquelle toute volonté de réduire l’autre à une fonction nous assigne finalement nous-mêmes. Jouir avec et non jouir de. Jouir ensemble et s’éveiller à l’Ailleurs plutôt que jouir par, avec ou en. Se désamarrer du Toi et du Moi. Et finalement, à l’apogée du coït, cesser de vouloir prouver ou justifier son existence.

Ce n’est pas pour rien que l’extase est restée longtemps l’apanage des saintes. Qui n’est pas foncièrement mystique et ne s’abandonne pas en totalité n’a aucune idée de ce qu’est réellement le sexe. Qui cherche à jouir pour satisfaire son narcissisme, qui ne renonce pas au contrôle, c’est-à-dire à la peur de l’Inconnu, restera toujours prisonnier de soi-même : une illusion.

Le sexe n’est pas une dialectique de l’être et du néant. Ni un antidote à l’angoisse de mort. Ni un sport de compétition où il faudrait se poser face à l’autre pour rêver d’exister davantage. Tout comme l’expérience de la mort, l’expérience du sexe, c’est la rencontre de l’Etre au sortir de la traversée du nécessaire Néant. Mourir à soi, mourir au « sexe », à la l’illusion de la Séparation, mourir à cette vie. Parvenir à ne plus être pour être. Et oser enfin le Tout pour le Tout.

Le sexe des anges : Comment parler de sexualité à nos enfants

Mis en avant

Autrefois les enfants n’avaient pas de sexe. Ils étaient comme des anges. Comme sur ces tableaux de la Renaissance, où les petits angelots ont bien un petit kiki, mais ne s’en servent jamais puisque comme chacun sait « les anges n’ont pas de sexe ».

La réalité était tout autre. Dans les campagnes les marmots étaient vite informés des choses de l’amour. On vivait à dix dans la même chambre, cette promiscuité ne ménageait pas longtemps les mystères de la vie intime. Et puis il suffisait de regarder les animaux de ferme besogner pour comprendre que les filles ne naissent pas dans les roses ni les garçons dans les choux…

L’homme urbain et moderne a depuis été dénaturé par la morale bourgeoise et les ravages des maladies vénériennes, la séparation des individus et des familles en pièces et appartements dans les grandes villes, l’invention de l’hygiène par les médecins et urbanistes au 18e siècle, et celle de la sexualité par les psychiatres au 19e siècle, la fermeture des bordels au début du 20e siècle, les rigueurs de la Grande guerre puis celles de l’Occupation. Il a acquis plus de distance avec la zizilogie.

Jusqu’au milieu des années 1960, pudeur et réserve étaient de mise. On ne parlait pas de sexe, surtout en présence des enfants. Et quand on le faisait, on ne s’en vantait pas publiquement, sinon dans les corps de gardes, les estaminets où les ouvriers allaient pisser leur bière, parfois entre sportifs après le match. Et encore, toujours en respectant quelques règles élémentaires de bienséance. Ou alors dans les cabarets, la nuit, pour en rire. Ou dans ces refrains interlopes de chansonniers bien grivois.

Alors parler de sexe à l’école, voilà une idée bien inconvenante qui rendrait ivres de rage nos aînés.

La question de l’éducation sexuelle dans les écoles de la République semblait depuis 50 ans un fait acquis dont on ne souciait plus. Qui allait avec le progrès des mœurs et des idées.

Depuis quelques années, elle suscite à nouveau des débats passionnés. Notamment depuis cette rumeur selon laquelle, sous l’impulsion de Najat Vallaud-Belkacem alors ministre de l’Education nationale de François Hollande, l’Etat se serait mis en tête depuis 2015 d’enseigner cette fameuse théorie du genre aux jeunes enfants du primaire.

Théorie qui serait évoquée par des intervenants issus du milieu LBGT. Et même parfois illustrée sous la forme de jeux de rôles ou de sketches humoristiques réalisés par des drag queens dans les maternelles.

Le débat a pris ces dernières années une tournure plus dramatique, et les avis se sont durcis avec la diffusion de l’idéologie woke venue des Etats-Unis, dont le ministre actuel de l’Education Pap Ndiaye est un fervent défenseur.

Au cours des décennies 1980 à 2010, la France a connu comme la plupart des pays occidentaux de grandes avancées concernant les droits des minorités sexuelles : dépénalisation de l’homosexualité par François Mitterrand en 1982, retrait de l’homosexualité de la liste des maladies mentales par l’OMS en 1993, vote du Pacs en 1999, puis du mariage pour tous en 2013, pénalisation de l’homophobie, reconnaissance de l’homoparentalité avec un statut juridique et des droits pour le second père ou la seconde mère au sein d’une famille homoparentale, droit à l’adoption pour les femmes et les hommes célibataires (homosexuels notamment), ainsi que pour les couples de même sexe…

Les progrès de la science ont permis l’ouverture des techniques de PMA aux femmes lesbiennes qui souhaitent avoir un enfant en recourant à l’insémination artificielle, dans le cadre d’une famille monoparentale ou homoparentale.

Ces avancées posent cependant des problèmes juridiques et éthiques.

Ainsi la question épineuse de la GPA s’enlise entre des préjugés et des revendications qui empêchent à un débat éthique, sociétal et juridique d’être sereinement posé, tout en privilégiant l’intérêt et les droits de l’enfant sur ceux de l’adulte.

Depuis 10 ans, il existe en France de plus en plus d’enfants qui sont nés d’une GPA réalisée dans un pays où cette technique est légale, qui sont élevés et scolarisés comme n’importe quel autre enfant. Sauf qu’ils n’ont aucun statut. Pas plus que leur père biologique ou la mère porteuse. Ce qui soulève d’immenses problèmes juridiques, et constitue une grave injustice.

D’un autre côté, une frange ultra marginale de militants LGBT s’engagent dans une surenchère pour réclamer toujours plus de droits et de reconnaissance, avec des méthodes toujours plus agressives et des objectifs de plus en plus absurdes.

Avec la diffusion très rapide de cette idéologie woke venue des universités d’Amérique du Nord dans les milieux universitaires et politiques d’extrême gauche (comme EELV ou LFI), de nouveaux activistes ont aujourd’hui remplacé ceux issus du mouvement gay et lesbien qui avaient porté des projets de réforme dans les années 1990-2010. Avec une offensive militante redoublée pour forcer la société à reconnaître de prétendues nouvelles minorités.

Ces minorités supposées qui réclament à leur tour une visibilité, une reconnaissance de l’ensemble de la société, et des droits spécifiques, se fondent sur de nouvelles identités sexuelles, souvent définies à partir de la notion de genre, sa négation, des orientations ou pratiques sexuelles marginales : queers, transgenres, non-binaires, androgynes, intersexes, asexuels, plurisexuels, autosexuels…

La violence qui caractérise ces militants s’accompagne, selon les canons de l’idéologie woke, d’une remise en cause radicale de la majorité hétérosexuelle, qualifiée par essence de dominante, répressive, persécutrice.

Selon cette religion woke et son credo proprement terroriste, le groupe majoritaire symbolisé par l’homme blanc hétérosexuel cisgenre (dont le genre masculin coïncide avec son sexe mâle) constitue par sa simple existence un scandale inadmissible, et doit être éliminé pour laisser les minorités opprimées exister. Ceux qui ont le tort d’appartenir à cette catégorie honteuse sont systématiquement accusés de discrimination envers les autres minorités. De ce fait, ils sont sommés d’expier leur faute en cédant leur place, et en s’inclinant devant toutes les revendications de ces minorités.

Selon cette théorie du genre souvent invoquée pour justifier des identités et les revendications qui leur sont liées, le genre n’aurait aucun lien avec le sexe biologique – mâle, femme ou hermaphrodite – d’un enfant à sa naissance. Le genre – masculin, féminin ou autre – est une construction sociale, qui renvoie à des stéréotypes culturels propres à un groupe ou une société.

Par exemple le fait que les petits garçons soient habillés en bleu et les petites filles en rose relève d’une construction et des stéréotypes sociaux. Ce qui est vrai. Idem pour les femmes qui s’habillent en jupe et chemisier, et les messieurs en costume cravate. Ou pour certains métiers injustement « genrés », comme pilote de ligne, maçon ou pompier réservés aux hommes, et infirmière, femme de ménage ou nourrice réservés aux femmes.

Selon les partisans de cette théorie, le genre est donc la résultante de déterminismes sociaux, qui doivent être contestés et modifiés au nom d’une approche libertaire et égalitariste : chacun doit pouvoir choisir s’il souhaite s’identifier comme un homme, une femme, ou aucun des deux. Et ce dès le plus jeune âge. On peut donc très bien être de sexe mâle, avoir un pénis entre les jambes, mais s’habiller, se maquiller et se comporter de façon à être identifié socialement comme une femme. Et même comme la « mère » de ses enfants.

Selon cette théorie, choisir son genre est un droit inaliénable pour tous. Puisque le genre procède d’une construction, il peut donc relever d’un choix personnel, lequel peut varier au fil de la vie. On peut donc tout à fait légitimement changer de genre, sans pour autant avoir besoin de changer de sexe (par une opération en plusieurs étapes, longues, risquées, douloureuses et coûteuses). Ou changer partiellement de sexe en s’injectant des hormones pour se faire pousser des seins, en faisant peu à peu disparaître tous les traits apparents d’un homme, en féminisant son allure, mais tout en conservant un pénis pleinement fonctionnel.

Ce qui conduit à des situations particulièrement abracadabrantesques lorsqu’un individu né de sexe masculin, qui a entamé une transition pour devenir en partie une femme, décide d’avoir un enfant avec une « vraie femme ». Enfant dont il sera à la fois le père biologique, et la 2e mère en tant que parent dans un couple lesbien composé d’un homme et d’une femme.

Casse-tête juridique accru s’il revendique le droit d’être reconnu juridiquement comme la mère de cet enfant, bien qu’il soit toujours un homme déclaré comme tel à l’état civil, et le géniteur de cet enfant…

Une précision importante concernant cette théorie du genre qui donne des maux de tête aux juristes et fonctionnaires d’état civil : bien qu’elle soit souvent invoquée par ses partisans comme par ses détracteurs, cette théorie n’a tout simplement jamais existé !

En effet, il existe depuis les années 1950, aux Etats-Unis d’abord puis dans bon nombre d’universités européennes qui possèdent des départements de sciences sociales spécialisés en gays & lesbian studies, des études de genre, souvent intégrées dans les cursus de sociologie ou de psychologie.

Il existe également beaucoup de théories, et non une seule, souvent concurrentes, élaborées à partir des années 1970, qui tentent de comprendre et de rationaliser l’appartenance à un genre ou à une orientation sexuelle, déterminée selon différentes visions : essentialiste – on « naît » homme ou femme, comme on « naît » hétéro ou homosexuel, en référence à une essence. Et d’autres qui s’appuient sur une approche existentialiste ou constructiviste : on « devient » homme ou femme, comme on « devient » hétéro ou homosexuel.

Cette seconde approche tend à remettre en cause les stéréotypes de genres, à savoir les modèles acquis liés à un genre ou un autre dans une société.

Inspirées des travaux du philosophe Michel Foucault, très enseigné aux Etats-Unis et qui a inspiré de nombreux théoriciens LGBT, mais aussi de Gilles Deleuze, ces théories encouragent une relecture critique, une déconstruction des modèles sociaux liés au genre. Avec une ambition de libérer les personnes concernées de l’assignation à un genre défini de l’extérieur par les discours, ou à des stéréotypes que la société leur impose. Par exemple le fait qu’un homme ne doive pas pleurer, ou qu’une femme ayant une allure masculine serait nécessairement une lesbienne.

C’est sur ce principe que se fondent les militants actuels du wokisme, comme les trans ou les non-binaires, pour promouvoir cette vertu émancipatrice que constituerait la possibilité selon eux de reconstruire son identité individuelle pour la faire correspondre à ses propres désirs ou à sa véritable identité.

Changer de sexe, totalement, en partie ou juste en apparence, n’est donc pas une névrose, un artifice, un scandale, ni même un choix justifié pour faire coïncider le sexe biologique avec le sexe psychique d’un individu en souffrance (selon une théorie ancienne du transsexualisme). C’est juste un libre choix personnel, tout à fait respectable, et évolutif selon la perception fluctuante que l’on a de sa propre identité.

Le problème devient plus épineux quand la science s’avère capable de répondre aux moindres caprices d’une personne qui entend changer de sexe comme de chemise.

Il devient encore plus problématique quand ce choix est reconnu également chez un enfant en maternelle ou à l’école. Notamment ces nombreux petits garçons qui jouent à la poupée, mettent les jupes de leur maman, et assurent à leurs parents déconcertés qu’ils sont des filles.

Quelle doit être l’attitude juste des parents ? Les dissuader au risque de les traumatiser ? Les encourager à se prendre pour des filles, voir leur parler de transition, au risque de les enfermer dans des croyances dictées par leur imaginaire, et non par leur nature profonde ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en cette matière, l’Etat a totalement démissionné de son rôle éducatif et normatif. Lequel ne consiste pas seulement à enseigner des connaissances, des savoirs et des savoir-faire (pour devenir rapidement un employé bien adapté au monde du travail), mais à transmettre des repères communs à toute une génération, des modèles, des valeurs qui façonnent la vie en société, à développer dans l’esprit des futurs citoyens la raison et l’esprit critique, et permettre aux individus de s’identifier comme membres à part entière d’un même corps, d’une même Histoire, d’un même destin communs : le pays, la nation, la République… Sans parler de Fraternité.

Il est donc urgent de clarifier ce que nous entendons enseigner à nos enfants. Sans céder aux effets de mode ni aux chantages de tel ou tel lobby ou minorité.

On doit sur ce sujet comme sur d’autres veiller à conserver un jugement éclairé et nuancé. Ne pas se contenter d’a priori, de formules plaquées ou de jugements de valeurs. Ne pas se cabrer non plus à l’idée qu’on doive aborder dès l’école le sujet de la sexualité.

La question est comment on le fait, qui en est chargé, avec quels outils, quels discours, quel agenda. Et surtout pour quoi et au nom de quoi.

Il faut rappeler que l’éducation sexuelle a été introduite dans les lycées français dès le milieu des années 1970.

Malgré l’émoi et la polémique relative que cette innovation suscita à l’époque, elle fut rapidement considérée comme un progrès. Et même un soulagement pour beaucoup de parents inquiets des évolutions rapides de la société, de la libération des mœurs et des discours, en particulier à la télévision qui s’introduisait dans tous les foyers. Des parents souvent gênés d’aborder à la maison le sujet de la sexualité avec leurs enfants. Que ce soient les petits qui demandent « comment on fait bébés ? », ou les plus grands à l’approche de la puberté.

Il faut rappeler que dès 1947, l’inspecteur général François présidait un comité d’études sur l’éducation sexuelle en milieu scolaire.

Il faut rappeler aussi ce contexte particulièrement éruptif de la libération sexuelle au cours des années 1960-1970, après deux décennies bien sages marquées par la morale « bourgeoise » des années gaullistes, et le poids toujours très grand de l’église catholique sur la société, notamment en milieu rural. Tout cela a subitement volé en éclats sous les pavés de Mai 1968. Toute une génération de jeunes adultes épris de liberté et de révolution sexuelle, mais aussi beaucoup d’adolescents qui faisaient leurs premières expériences sexuelles plus tôt que leurs aînés, furent profondément marqués par ce bouleversement.

L’apparition de la pilule contraceptive en 1968, le vote de la loi Veil sur l’IVG en 1974, ont bouleversé le rapport des hommes et des femmes à leur corps, à l’autre, à la sexualité, à la procréation, à la filiation. Ils ont changé durablement les liens entre les ados et leurs parents, la vision de la famille, des rôles respectifs entre hommes et femmes, de la société et de l’avenir en général.

On est aujourd’hui revenu des excès de cette époque, où toutes les expériences étaient indifféremment encouragées par l’idéologie freudo-marxiste et libertaire dominante, où l’individu et ses aspirations les plus excentriques sont soudainement devenus le cœur des préoccupations existentielles et sociétales, rapidement récupérées par le marketing, son mirage consumériste et hédoniste.

Dans ce contexte, il paraissait essentiel que l’école de la République jouât son rôle, pour préparer les jeunes à la découverte de la sexualité et à leur vie d’adultes. Mais aussi pour confirmer ce mouvement vers le Progrès, libérant la parole sur le sexe, y compris chez les jeunes générations.

La célèbre émission Lovin’ Fun avec ses animateurs vedettes Doc et Difool, conçue pour un jeune public et diffusée sur Fun Radio à partir de 1992, son style décalé, sa grande liberté de parole, son ton provocateur, était l’héritière directe de ce mouvement de libération des mœurs et de la parole sur le sexe, initié dans le sillage de Mai 1968.

A l’époque où fut introduite l’éducation sexuelle dans les lycées, une grande disparité régnait entre des familles très traditionnelles, où la sexualité demeurait un sujet tabou, où les mères n’osaient pas parler des règles à leurs filles, ni des choses de l’amour ou des garçons, et des familles beaucoup plus libérales, où le sujet était abordé de façon libre entre la poire et le fromage.

En classe de 6e, lors de deux heures consacrées à l’éducation sexuelle, le prof de sciences naturelles était chargé d’enseigner la reproduction aux jeunes lycéens, sous un angle strictement anatomique et scientifique. Y compris celle des mammifères bipèdes. Avec des croquis détaillés au tableau des appareils reproducteurs masculin et féminin. Ce qui plongeait les profs dans un grand embarras, et faisait hurler de rire les ados.

En 5e, deux parents d’élèves volontaires étaient chargés d’intervenir en classe pour animer une heure de présentation et d’échanges consacrés à la sexualité. Avec des sujets comme la puberté, la sexualité des adolescents et des adultes, les premières expériences sexuelles, la contraception, les maladies sexuellement transmissibles, le couple, les enfants… Quelques questions-réponses gênées sur la masturbation, les préliminaires, le coït, la grossesse, les préservatifs…

Bien entendu à cette époque, et jusqu’à l’apparition du sida qui a chamboulé de façon dramatique le paysage sexuel français en forçant sous la pression d’associations d’aides aux malades comme Aides ou Act Up la parole à se libérer au nom d’un impératif de santé publique, pas question d’aborder les « déviances sexuelles » : homosexualité, lesbianisme, bisexualité… : silence radio !

Idem pour la pédophilie. Bien que punie par la loi, elle était encore dans les années 1970-1980 plus ou moins tolérée, et même revendiquée par certains (Daniel Cohn-Bendit par exemple) comme une pratique sexuelle alternative. Les théories audacieuses du psychanalyste Wilhelm Reich sur la sexualité infantile, très en vogue parmi les hippies et intellectuels de Mai 1968, étaient passées par là. La sexualité avec des enfants était même assez bien vue dans certains milieux littéraires ou « branchés ». Invité d’Apostrophes à une heure grande écoute, le romancier Gabriel Matzneff l’avait souvent évoquée dans ses livres. Comme autrefois André Gide, ou plus tard le futur Ministre de la Culture Frédéric Mitterrand.

L’âge de la majorité secuelle était encore fixé à 18 ans. Quant à l’homosexualité, « ce douloureux problème« , elle était encore largement taboue, officiellement passible d’arrestation et d’emprisonnement, même entre adultes consentants.

A l’époque d’internet, les enfants sont désormais exposés dès le plus jeune âge à la sexualité des adultes, par le biais de la pornographie. A 6 ans, la plupart des enfants savent déjà tout de la sexualité. Alors qu’après la guerre, beaucoup d’adolescents de 15 ou 18 ans en ignoraient encore presque tout.

L’Education nationale doit donc continuer à honorer son rôle, et s’appliquer à parler de sexualité aux enfants pour répondre à leurs inquiétudes dès l’école.

Parce que les enfants de 8 ou 10 ans en savent aujourd’hui plus qu’il y a 50 ans. Qu’ils sont exposés à une avalanche d’images, de discours et de situations qui exercent sur eux une pression psychologique considérable. Sans parler des risques auxquels ils sont exposés, ou des discours omniprésents sur les pédophiles, qui appellent des explications, des recadrages, une parole qui les prévienne des dangers objectifs qui les menacent face à des adultes ne maîtrisant pas toujours leurs pulsions. Mais aussi qui les rassurent sur le monde dans lequel ils vont rentrer sans nourrir d’inutiles angoisses.

En revanche, il n’est ni justifié ni souhaitable d’encourager de quelque manière que ce soit les enfants à jouer avec leur image ou leur identité sexuelle, autrement que lors de déguisements ou de jeux anodins auxquels tous les enfants aiment se livrer. Comme il n’est pas nécessairement utile de leur inculquer dès 6 ans l’idée fort discutable qu’on peut être qui l’on veut – garçon, fille ou autre chose – au gré de ses fantaisies ou de ses caprices.

Les jeunes enfants sont à un âge où ils acquièrent des repères nécessaires à la construction de leur psyché et de leur identité. Ils doivent pouvoir les identifier, les nommer, être capables de s’identifier, de se situer vis-à-vis d’eux. Leur psychisme a besoin de tels repères, véhiculés par les parents, le groupe, l’école, les médias, le cinéma, pour se développer harmonieusement. Sans pour autant qu’on exige d’eux qu’ils se conforment à des modèles hermétiques, rigides ou dépassés. Le psychisme des enfants est fragile, incomplet, influençable. Ils ont donc besoin de repères solides. D’autant que beaucoup d’entre eux n’en trouvent pas suffisamment dans leur famille, souvent brisée, dysfonctionnelle, avec des parents eux-mêmes trop immatures pour jouer leur rôle de parents, ou trop absents.

C’est donc souvent aux enseignants de suppléer à cette défaillance parentale. Si en plus l’école encourage le flou et le n’importe quoi, cela revient à livrer les enfants à eux-mêmes, à altérer leurs chances de se développer harmonieusement, de comprendre et de s’adapter au monde où ils évoluent, et d’être heureux et épanouis.

Enseigner la théorie du genre ou ce qui y ressemble dès la maternelle n’est donc pas une solution pour répondre à ces besoins. Convoquer des drag queens dans la cour de récré peut être sans doute très amusant pour jouer ou pour un spectacle comique, pas pour apprendre les rôles respectifs, souples et modulables, d’un papa et d’une maman, ou la fonction du zizi et de la zézette.

Autant confier ce rôle à des médecins, des sexologues, des enseignants ou des parents formés pour cela.

En résumé, il faut garder du bon sens, ne pas jeter tout l’apport des décennies passées par fétichisme du nouveau, refuser que l’école devienne le sanctuaire d’une idéologie qui fait de la destruction systématique des repères et de la société, de la compétition identitaire et de la confrontation violente des revendications, un acte de foi et une déclaration de guerre qui doit s’imposer à tous.

Ne pas céder non plus à la tentation inverse du repli frileux, de la morale, de la condamnation ad hoc, du rejet ou de la haine envers les personnes, en raison de leur identité, de leur appartenance réelle ou supposé à une communauté. Toujours privilégier, l’écoute, le dialogue et par-dessus tout l’intérêt de l’enfant.

Le sexe, enjeu majeur de notre époque, entre fascination du Vide et expérience du Grand Saut

Hier nous étions tous dehors et décidés à « Jouir sans entraves« .

Aujourd’hui nous sommes tous confinés et sommés de traquer les délinquants sexuels sur l’Agora numérique.

Que s’est-il passé entre les deux ?

Hier le sexe était une fête, une arme révolutionnaire lancée à coup de provocations et de libérations contre une société bourgeoise frileuse et une morale catholique castratrice. Le lieu de tous les possibles et de toutes les expérimentations.

Aujourd’hui le sexe est disséqué, balisé, calibré, normalisé, emprisonné, numérisé.

Certaines « déviances » autrefois tolérées, tues mais pratiquées – homosexualité, bisexualité, androgynie, transformisme, transsexualisme, sadomasochisme, triolisme – sont devenues presque toutes de nouvelles normes.

Seuls les enfants, les animaux et les morts font toujours l’objet d’un tabou, qui s’est solidifié en rempart absolu de l’ordre et de la vertu.

Les premiers traduits en objets sexuels suscitent la furie, les seconds le dégoût, les derniers l’effroi.

Le viol, la pédophilie et l’inceste sont les nouvelles bornes du plaisir, destinées à circonscrire la norme.

Toute sexualité doit s’arrêter là où le consentement fait défaut, là où le désir profane la sacralité construite autour de l’enfant, érigé en autel du bien. Il est conjuré dès lors qu’il menace l’équilibre anthropologique et symbolique de la famille. Et qu’il menace l’ordre imprescriptible des relations entre parents ou adultes et enfants.

Quant à la bestialité, ces plaisirs contre-nature ou au contraire trop proche d’elle avec des animaux, autrefois succédané du pauvre, palliatif à la misère sexuelle, notamment en milieu rural, elle est toujours allègrement pratiquée dans certains pays comme au Maghreb. On y sourit du sort réservé aux chèvres, alors que des caresses trop appuyées entre une femme respectable et son lévrier sont immédiatement condamnées comme une perversion coupable. Bien qu’elles soient parfois l’objet de fantasmes chez certains mâles excités par ces transgressions entre le règne animal et l’humain supposé davantage maître de ses pulsions.

La mort étant la matrice de toutes les angoisses existentielles, il est normal que tout commerce avec un corps inanimé suscite tant de peur et de réprobation. La nécrophilie est rarement évoquée, à peine nommée, tant elle éveille un sentiment panique. Transgression ultime.

Car si le corps est un vecteur de plaisirs et de souffrances, ce n’est que parce que la conscience est à même de les éprouver. Le plaisir sexuel est donc un échange entre deux consciences. Sans le consentement de l’une d’entre elles, il se résume à une forme de masturbation, où l’autre est réduit à un simple objet, chosifié, et donc nié, évacué, subtilisé en tant que sujet.

A fortiori quand la conscience a définitivement quitté un corps, jouir de cette enveloppe sans vie et vouée à la putréfaction constitue la transgression par excellence. Celle qui nie toute vie et toute altérité dans le sexe.

Lequel devrait au contraire toujours n’être qu’une célébration du dépassement commun de l’individualité dans le plaisir, une communion à l’Etre, un retour volcanique et sacré à cette Origine où Tout est Un.

Hélas aujourd’hui toute conscience du caractère essentiellement sacré du sexe a été conjurée au bénéficie d’une technicité mécanique, froide et normative. Le plaisir est un but univoque, enclos, conceptualisé avant d’être vécu, et finalement obtenu au terme d’une maîtrise de son imaginaire fantasmatique et d’une juste économie des plaisirs permis.

Au besoin en recourant à toutes sortes d’accessoires et de fétiches supposés déclencher, réhausser ou sublimer le plaisir : vêtements, mise en scène, paroles romantiques ou au contraire salaces supposées nourrir l’excitation et faire tomber les inhibitions, sex-toys, aphrodisiaques, chems, pornographie… Et bientôt ces robots sexuels plus vrais que nature propres à satisfaire les désirs les plus inavouables sans risque de transgression, apothéose du vertige transhumaniste célébrant le vide absolu d’un plaisir totalement égotisé et déshumanisé.

Car si le sexe s’est technicisé et normalisé à outrance, si les moyens de doper le plaisir, les sites et applis de rencontres pour trouver rapidement un partenaire n’ont jamais été si nombreux, si segmentés, si le marché des plaisirs n’a jamais autant ressemblé à un catalogue de vente par correspondance, jamais les candidats au plaisir n’ont jamais été aussi distanciés. Et finalement déçus, renvoyés à leur solitude, au caractère vide et dérisoire de cette quête purement superficielle.

Plus on cherche à se rapprocher et plus on s’éloigne les uns des autres. Et plus le sexe devient froid, aride, faux et sans saveur.

Il faut dire qu’à l’époque où l’on a inventé la sexualité, le sexe autrefois spécialité des libertins est devenu l’affaire des psychiatres et des médecins.

De nouvelles catégories de « pathologies sexuelles » ont alors été forgées dans cette seconde moitié du 19e siècle, à partir d’une nouvelle norme – l’hétérosexualité – elle aussi inventée par ces médecins pétris de scientisme, de puritanisme et d’hygiénisme protestants.

Les homosexuels, bisexuels et autres transsexuels sont devenus les nouveaux monstres inventés par cette science hypernormative. Longtemps pourchassés, sommés d’avouer leurs misérables pratiques et de se plier à une rééducation psychique et comportementale pour recouvrer la norme, ils se sont regroupés en communautés, bien décidés à se défendre de l’opprobre public, à se faire respecter et faire valoir leurs droits.

La Libération sexuelle a initié un vaste mouvement de décloisonnement des identités et de décriminalisation des pratiques, puis de normalisation de ces pratiques sexuelles marginales longtemps qualifiées de contre-nature, pécheresses, criminelles, déviantes, pathologiques, immorales, contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

Hélas la société postmoderne n’a pas évolué dans un sens aussi libéral sinon libertaire que les apôtres de la bonne conscience ou les révolutionnaires du sexe l’avaient espéré.

Au contraire, sous une apparente permissivité très encadrée selon les canons du sexuellement correct, la société s’est davantage durcie et figée, fabriquant et traquant de nouveaux monstres expiatoires pour tenter de conjurer son angoisse viscérale à propos des choses du sexe.

La pédophilie – l’attirance pour les jeunes enfants – était autrefois tout au plus ignorée, et souvent pratiquée discrètement sans qu’on n’y trouve à redire. Mais à partir de la décennie 1990, à mesure que les personnes LGBT acquéraient une légitimité nouvelle, une « visibilité » et de nouveaux droits, la société bourgeoise s’est inventé un nouveau monstre, désigné comme le bouc émissaire absolu des désordres sexuels en son sein : le pédophile.

Sur fond de sordides affaires criminelles comme l’affaire Dutroux, mettant en scène des kidnappeurs, des violeurs, des tortionnaires et des assassins d’enfants, un amalgame s’est immédiatement constitué à propos d’une réalité devenue d’autant plus inadmissible qu’elle paraissait visible, cette sexualité non dite, marginale mais très largement répandue à toutes les époques dans la société, entre des adultes et des enfants. Un amalgame forgé autour d’un repoussoir, ce pervers absolu doublé d’un criminel qui n’a d’autre obsession que de repérer, séduire, enlever, contraindre, abuser, violer, puis tuer de jeunes enfants innocents.

Tous les amateurs de jeunes adolescentes à peine pubères repérées à la sortie du lycée, de partenaires mineurs, ou pire d’enfants, furent indifféremment assimilés à de grands malades qu’il fallait castrer chimiquement, enfermer, déchoir de leur autorité parentale, éducative et pourquoi pas de leurs droits civiques, comme des dangereux terroristes.

Finie la licence jouant sur le trouble et l’éveil des sens. Exit Lolita, les nymphettes de David Hamilton, ou les jeunes éphèbes chauffés par le soleil pour vieux messieurs amateurs de jeunes chairs exotiques tels un André Gide ou un Frédéric Mitterrand.

Sans parler de faire l’apologie décomplexée des amours entre adultes et enfants, comme Gabriel Matzneff ou Daniel Cohn-Bendit. Une époque d’égarements libertaires tolérés au nom de l’Interdit d’interdire et du Jouir sans entrave s’est brutalement refermée. Haro sur tous ceux qui comme Jack Lang ou Roman Polanski en représentent les insolents vestiges ou les thuriféraires entêtés ! Il est l’heure de couper les têtes au nom d’une justice due aux victimes trip longtemps assignées au silence, et non plus de tempérer en sacralisant la culture.

Saint-Just a terrassé Sade.

Cependant le pédophile n’est pas une réalité. C’est un archétype : celui du monstre.

On n’envisage pas le pédophile en tant qu’individu, sinon pour le soumettre au dénominateur de l’abominable. Qui il est, dans la complexité de sa personnalité, ce qu’il ressent, comment se manifestent ses désirs, ce qu’il en fait, comment il agit, tout cela importe peu et est recouvert du sceau de l’abjection, sa personne autant que ses actes, pour peu qu’ils soient déclarés criminels.

Le pédophile ne peut être l’objet d’une enquête dénuée de passions et de projections. On le soupçonne, on le dénonce, on le traque. Et finalement on le jette en pâture à une opinion déchaînée avant de l’éliminer. Sinon physiquement, du moins en le jetant au ban de la société, comme une bête chargée de honte, renvoyée à la violence qu’elle suscite et condamnée à l’oubli. Un bouc émissaire.

Dès qu’un homme, jamais une femme malgré l’existence d’une pédophilie féminine (qu’on songe à la Première dame actuelle et à son « fils » incestueux…) est accusé d’être un pédophile, il perd aussitôt tout statut d’être social et même un humain pour être réduit à ses instincts sauvages et devenir un monstre. Sur lui la société des braves gens peut alors projeter toute sa rage vengeresse, expulser toutes les scories de son âme violente et torturée, et le déchiqueter telle une bête sauvage.

Le pédophile, c’est le grand méchant loup du conte, qui se glisse dans le lit au cœur du foyer sous les traits d’une innocente mère-grand, et s’apprête à dévorer le petit chaperon rouge après l’avoir abusé. Un scénario bien huilé qui omet au passage toute la charge sexuelle que traîne derrière lui ce petit chaperon rouge faussement innocent. Et la symbolique ambiguë propre au désir et à la transgression des normes qui l’accompagne. Il suffit de relire Psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim pour s’en convaincre.

Dès lors la chasse au pédophile est à la société bourgeoise, postmoderne et hypernormée ce que les jeux du cirque furent à Rome : un rite social défoulatoire, une ordalie symbolique pour mettre en scène les pulsions les plus violentes de la société réprime et représente par procuration pour exalter sa propre vertu. Le scénario y est toujours écrit par avance, et les héros comme les gladiateurs sont interchangeables. Pourvu qu’il y ait du sang expiatoire pour laver la honte et le déshonneur d’une société en pleine confusion éthique, rongée par la culpabilité et vouée à la dislocation. Mais qui resserre une dernière fois les boulons de la morale publique, tout en prônant le respect, la liberté et des droits égaux pour ses chers déviants labélisés.

Nous nous sommes ainsi fabriqué un monstre parce que nous ne voulons pas abandonner un mythe : celui de l’enfant pur.

Nous sommes d’autant plus attachés à ce mythe de l’enfant innocent que notre culpabilité nous étouffe et nous empêche de réagir autrement que sous l’emprise de réactions paniques. A rebours du bon sens et de la science, nous voudrions nous convaincre que l’enfant avant la puberté n’aurait aucune vie ni pulsion sexuelle. Qu’il serait un être hors du temps et de l’espace, une icône éthérée du Divin, à la manière de ses vierges asexuées, l’énergie en plus. Ou une réminiscence de l’Eden perdu, ce monde d’avant la Faute, ce péché originel éminemment sexuel, cause de toutes nos souffrances et de tous les désordres terrestres.

Pour restaurer l’illusion de cet Eden primordial, au lieu de nous projeter vers l’avant dans un devenir commun emmené par une conscience tournée vers ses plus hautes réalisations, nous nous condamnons au renoncement. Renoncement au sexe, avec cette part de désordre intrinsèque, d’insoumission, de révolte panique qui le traverse. Renoncement à la vie, la vraie, faite de sublimités et de combats glauques, d’extase et de sang. Renoncement à Qui nous sommes vraiment : des êtres capables de tout, à qui tout pouvoir de création a été remis, et surtout absolument libres de conférer du Sens à nos expériences collectives. Et donc de déclarer bien ou mal ce que nous créons et expérimentons, selon nos critères éthiques partagés.

Cette vérité engendre une angoisse terrible : le constat qu’il n’y a ni « Dieu » ni « Loi » essentielle qui aient dressé par avance une cartographie précise du licite et de l’illicite. Que nous sommes ici-bas justement pour faire l’expérience par nous-mêmes de ce qui est bon ou mauvais pour nous. Et donc fixer par nous-mêmes les limites à notre propre vouloir et notre propre agir. Et pour cela d’édifier des lois qui orientent et délimitent l’ensemble de nos commerces avec l’autre et de nos comportements en société. Pour ne pas régresser à cet état primitif de nature anarchique entièrement soumis au chaos.

Selon une sécularisation du mythe chrétien de l’enfant-roi-messie, antidote de la Chute et icône vivante du Salut, nous avons hissé l’enfant au statut de temple vivant d’une Perfection primordiale aussi imaginaire que totalitaire. Une image parfaite qui associe la Pureté, l’Innocence, la Chasteté, la Beauté, le Bonheur, la Vertu, avec une conception totalement idéalisée et désincarnée de « la Vie ».

Alors que la psychanalyse nous enseigne des vérités à l’opposé de cette fable à propos du petit enfant : un pervers polymorphe ivre de son rêve de toute puissance, incapable de concevoir aucune limite à son désir, ni de frontière entre soi-même et le monde extérieur. Et donc une subjectivité opposée à des objets ou à d’autres sujets : son plaisir est entièrement subordonné à la jouissance sans limites de tout ce qui l’entoure. Et toute limite posée à ce désir est vécue comme un traumatisme insupportable.

En fait ce qui est insupportable pour la psyché du petit enfant, ce n’est pas qu’un autre éprouve un désir à son égard, ce dont il n’a même pas conscience puisqu’il ne fait aucune différence entre lui-même et l’autre, père, mère, frère ou tuteur. Ce qui lui est insupportable, c’est la castration. C’est à dire la limite posée à l’infinité de ses désirs. Or c’est justement cette castration qui est structurante pour lui, et qui lui permettra de devenir un sujet conscient, différencié et équilibré.

Au lieu d’admettre cette réalité, nous préférons esquiver ce qui nous dérange, et adorer cette icône immaculée que nous avons fabriquée. Une iconet dans laquelle nous adorons nous projeter, nous rassurer, nous contempler. En faisant semblant de croire que nous aussi nous pourrions redevenir aussi purs et immaculés que ces petits enfants.

Car tels Adam et Eve après avoir consommé ce fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal qui provoque leur Chute, nous sommes incapables de faire face à notre propre culpabilité, tant cette vague nous submerge et menace de nous anéantir.

Nous nous sentons notamment coupables à cause de cette licence, de nos égarements, de nos transgressions par rapport à des lois que nous fantasmons comme essentielles et universelles, alors qu’elles ne sont que des constructions éthiques postérieures à l’expérience de la condition humaine. Et des multiples désordres que nous entendons par nos choix désordonnés et subissons comme un ressac venu du tréfond de notre âme et que nous n’arrivons plus à endiguer.

Alors nous nous réfugions autour de ce tabernacle magique de la Perfection perdue : l’Enfant.

La seule évocation d’un possible consentement à de simples attouchements ou à une relation sexuelle, même bénigne, entre un enfant ou un adolescent et un adulte, comme la réalité des relations affectives ou sexuelles existant entre mineurs et majeurs, nous plongent dans la panique la plus totale. Ces derniers sont aussitôt désignés comme des transgresseurs et des criminels. Et provoquent dans la bouche des parents ou sous la plume de certains journalistes des assauts de fureur d’une outrance et d’une violence paroxystiques, rendant impossibles toute analyse objective et tout raisonnement.

Tout aussi délicat et ambigu est le cas du viol dont beaucoup de femmes sont les victimes, et qui peut parfois aller jusqu’au meurtre.

On a même inventé un néologisme pour donner une spécificité à ces meurtres de femmes par des hommes ou des maris violents : féminicide. A l’image de l’infanticide, du génocide ou du régicide. Une façon d’essentialiser le meurtre des femmes comme quelque chose qui serait par essence plus horrible, plus transgressif, plus grave que le meurtre d’un être humain lambda.

Avec cette croisade devenue une vraie chasse à l’homme et une proscription systématique des désirs masculins au cours de la campagne #meetoo ou #balancetonporc, la hantise et la rage se sont doublées d’un projet politique et judiciaire : celle d’une poignée de féministes ultras et misandres, déterminées à criminaliser jusqu’à l’identité masculine elle-même. À en interdire toutes les manifestations. En taxant a priori tout désir masculin envers les femmes de vulgaire, sale, obscène, violent, dangereux, non civilisé. Voire carrément pour certaines lesbiennes haïssant radicalement les hommes, un désir contre-nature.

Une telle inflation dans cette volonté hystérique, éradicatrice, purificatrice et vengeresse, propre à ranimer la guerre des sexes, et qui s’étale chaque jour à la Une des journaux, a néanmoins produit quelques effets positifs. Libérer la parole des victimes en mettant fin à l’impunité dont jouissaient les violeurs comme les pédophiles est certainement une bonne chose. Cela constitue un progrès social et éthique indéniable. Mais elle a surtout creusé une névrose collective dont nous mettrons sans doute des décennies voire des siècles à nous remettre.

La grande épopée de la Révolution sexuelle des années 1966-1977 aura finalement très peu duré. Le sida apparu à l’aube de la décennie 1980 a sonné le glas de l’appétit des libertins. Et l’ordre moral a vite fait son retour à la faveur des crises économiques successives qui auront ramené au pouvoir à peu près partout en Occident des gouvernements néoconservateurs pressés de mettre le sexe en coupes réglées, au même titre que l’économie et le reste de la société.

L’idéologie progressiste triomphante à partir de cette époque nous a laissé dans l’illusion que le progrès des mœurs, l’émancipation des corps et des individus suivaient un cours ininterrompu emmené par le mythe du Progrès social. Ce credo trompeur des progressistes a cependant conduit à de réelles avancées juridiques sinon sociétales durables. Comme la dépénalisation de l’homosexualité, l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, et la reconnaissance des familles homoparentales, des réalités pourtant aussi vieilles que l’humanité.

Mais durant toute cette période qui va en France de l’élection de François Mitterrand en 1981 à l’apparition de la crise du Covid en 2020, si le sexe semble apparemment s’être libéré avec des avancées en matière de droits LGBT, de bioéthique ou d’homoparentalité, cette réalité plus idéologique qu’historique masquent en réalité une volonté plus sournoise de normaliser le sexe, les identités liées au sexe et l’économie des plaisirs dans la société.

Ainsi le sexe sauvage a aujourd’hui presque totalement disparu dans nos sociétés. A une époque où l’homosexualité était encore taboue, stigmatisée et pénalisée, la drague entre hommes se déroulait essentiellement à la dérobée, dans des lieux interlopes comme des établissements semi-clandestins, en marge : bars, cabarets, discothèques, parcs et jardins, pissotières, friches industrielles, vestiaires, saunas… Un cadre qui alimente toujours la fantasmagorie des films pornos gays.

Ces lieux ont aujourd’hui presque totalement disparu des grandes villes devenues totalement aseptisées. Ou bien en devenant visibles ils se sont institutionnalisés, rendant plus évidente la subordination des sexualités normatives au business du plaisir. Aucune zone n’échappe désormais à un cadastre précis des usages sociaux et de leur périmètre légal et culturel.

Certes il existe au sein des grandes communautés LGBT très structurées comme à Londres, Berlin, New York ou Paris, davantage d’établissements institutionnels consacrés aux rencontres et à la consommation sexuelle. Toute une culture urbaine consumériste, hédoniste, individualiste autant que communautaire, marchande et institutionnelle, a remplacé la subculture gay autrefois ultra minoritaire, cachée, refoulée dans les bas fonds, objet de fantasmes pour les bourgeois hétérosexuels voyeurs, et de descentes régulières de Police pour conforter leur ordre moral.

Il existe surtout aujourd’hui de multiples outils numériques pour trouver un partenaire conforme à ses désirs, avec une segmentation infinie des styles et des pratiques. Mais il n’y a désormais dans cette industrie normative des identités et des plaisirs plus aucune place pour ce qui en faisait en partie le sel : l’inconnu, le risque, le hasard des rencontres non préméditées, hors des limites imposées par des discours et des normes sociales.

De même, l’économie des désirs entre les hommes et les femmes est devenue beaucoup plus complexe, anxieuse et calibrée. Plus question aujourd’hui de draguer une collègue de bureau à la machine à café. Au risque d’être traité de porc, de prédateur sexuel, de harceleur, de violeur, condamné comme tel par la meute et congédié sur le champ.

La Préciosité, inventée par les femmes de l’aristocratie du Grand siècle, avait mis un terme à un trop grand empressement des mâles mal dégrossis, à leurs mœurs trop mimitaires, agressives, peu galantes et peu respectueuses envers les femmes. Les obligeant à un parcours du Tendre codifié pour espérer un jour parvenir à entrevoir la courbe d’une cheville lors d’un aparté volé. Allant jusqu’à féminiser jusqu’au ridicule l’apparence des prétendants maquillés, poudrés, parfumés, noyés sous les dentelles et les rubans et pastichant les précieuses ridicules.

Aujourd’hui la donjonisation des femmes associée à leur prise de pouvoir sous couvert d’égalité est beaucoup plus explicite et ne laisse que très peu de place aux codes de la galanterie. L’homme étant un porc, le désir masculin étant une aberration de la nature, il faut en protéger à tout prix les femmes, forcément des victimes désarmées. Et encore plus les enfants, forcément vulnérables et innocents.

Cette société hypermorale 2.0 conçue par les progressistes et les féministes, c’est le gynécée étendu aux frontières de l’espace domestique, public, politique, professionnel, culturel, institutionnel et urbain.

Les femmes et les enfants constituent le premier cercle. Les eunuques – gays, non-binaires et autres anomalies licites – et les émasculés du féminisme – tous ceux qui utilisent l’écriture inclusive comme un bréviaire et sont incapables comme Emmanuel Macron de faire une phrase sans utiliser des gimmicks rhétoriques politiquement corrects comme « celles et ceux » – en constituent le second.

Les hommes, les vrais, sont rejetés à l’écart de ce périmètre éthique et politique du convenable et de l’acceptable. Certains sont toutefois tolérés, mais pour y pénétrer on est prié de laisser sa bite et son couteau au vestiaire. Et d’adopter les codes comportementaux et linguistiques qui font de toute bête hirsute et indomptée un caniche de cirque soumis et civilisé.

Les adolescents en pleine éruption pubertaire, les racailles fondamentalement rebelles à toute normalisation (autre que sous le joug de l’islamisme), et tous les déviants non répertoriés par les canons du bien-jouir, n’ont de place qu’en prison, à l’asile, ou dans ces ghettos où règne le non-droit et l’arbitraire des caïds. Là ils peuvent s’adonner en toute impunité à la plus grande sauvagerie, souvent avec la bénédiction des maires complaisants et d’une Police qui préfère rester à distance et fermer les yeux.

Il n’est pas étonnant que dans une telle dictature rhétorique, psychologique, politique, sociale et éthique, le sexe soit devenu non pas le lieu d’une émancipation, mais bien au contraire celui d’un asservissement total des populations.

Car il n’y a plus aucune alternative aujourd’hui : il faut se conformer ou s’effacer. Au sens le plus littéral ou l’entend la cancel culture, cette culture de l’éradication sociale des indésirables réfractaires à la norme.

Le sexe a toujours constitué un moyen d’asservir les individus. En normalisant le sexe, on ne définit pas seulement ce qui est licite ou illicite en termes de plaisir, mais les modes d’interaction, de relation, d’échange entre les êtres. Surtout dans une société qui met autant en exergue le plaisir – un plaisir conçu et réglé selon une multitude d’objets de satisfaction consuméristes, exacerbé par la publicité, les discours et les modes de consommation, fondés sur le mimétisme, soumis à l’arbitraire et à l’évaluation permanente selon le filtre d’une valeur exclusive : le fric.

Le sexe n’est plus qu’une marchandise parmi d’autres. Il ne peut se concevoir directement ou indirectement que comme un échange monnayé, un plaisir accordé avec une contrepartie. Jamais un acte gratuit, un don, quelque chose de spontané, une simple fantaisie sans conséquence.

Dans la dictature progressiste mondialisé de ce 21e siècle, le sexe est l’archétype de toute rétribution attribuée aux esclaves : un plaisir, forcément passager, limité, contrôlé, mais renouvelable. En échange d’une conformité aux normes imposées : être un bon travailleur, un bon citoyen, un bon consommateur, un bon électeur.

Si vous êtes un gay parisien CSP+ travaillant à la Mairie de Paris ou chez Macron, que vous êtes un militant méritant pour propager les dogmes en vogue et faire reculer l’obscurantisme machiste, sexiste, antiféministe, homophobe, transphobe, alors vous aurez droit à tous les privilèges. On fermera même les yeux si vous manifestez quelque intérêt coupable pour les jeunes gens pas encore faits. Tant que vous ne vous exhibez pas en public, et que cela se passe de préférence à Bangkok, à Marrakech, ou dans quelque cercle mondain où la licence devient permise aux privilégiés du sérail.

En revanche si vous êtes un simple employé, un blédard ou un banlieusard, pris la main dans le sac à courser une bourgeoise moyennement consentante, vous vous retrouverez illico à la Une des journaux dans la rubrique faits divers. Ou cloué au pilori dans ces émissions salaces vouées à la décompensation quotidienne d’une plèbe aboyante qui se repait des cochonneries du jour.

Mieux encore, l’emprise exercée sur les individus par cette dictature des plaisirs touche aussi aux dimensions psychologiques, symboliques, identitaires et spirituelles de l’être.

En nous assignant à une sexualité politiquement correcte, en manipulant les esprit avec une extrême perversité jusqu’à la confusion la plus totale, sur fond de grande permissivité apparente associée une répression féroce envers toute déviation normative, le pouvoir exerce une emprise véritablement totalitaire, jouant d’une alternance sadique et déstructurante entre permission et répression.

La psychiatrie avait créé les conditions d’un contrôle radical du psychisme humain au travers des discours et des modèles appliqués aux pratiques sexuelles. Et en forgeant des identités psychiques à partir de ces pratiques estampillées comme normales ou pathologiques.

Désormais c’est toute l’étendue du spectre des désirs, des comportements et des plaisirs qui est taxée en même temps de normalité et de pathologie.

L’homophobe a remplacé l’homosexuel selon une inversion des valeurs et de l’axe des pathologies. Ce qui était hier considéré comme normal et sain – le dégoût suscité chez un hétérosexuel « normal » à l’idée d’actes sexuels entre deux hommes – est aujourd’hui une pathologie : la peur ou le dégoût suscité par l’homosexualité, cette ancienne maladie psychique du catalogue des perversions reconvertie en nouvelle norme, à égalité avec l’hétérosexualité.

Les propos et les actes homophobes sont désormais des délits voire des crimes, comme l’étaient autrefois les actes homosexuels, selon une logique de revanche des invertis retournés en bourreaux par les discours victimaires.

En réalité ce retournement arbitraire, autoritaire et normatif, comme ces identités (gays, LGBT, queer, trans, non-binaires…) tout aussi factices que les catégories nosologiques négatives forgées par les psychiatres d’antan, s’avère tout aussi violent et destructeur que l’étaient ces normes et identités psychiques assignées de façon arbitraire sous l’autorité d’une prétendue science par des médecins pressés de catégoriser et normaliser les comportements sexuels.

Alors qu’une attitude pacificatrice consisterait à faire œuvre vis-à-vis des authentiques homophobes d’une incitation à refuser l’ignorance, les préjugés quant aux personnes, la violence des opinions et des actes, au bénéfice d’une éducation au respect de l’autre, des différences, à la tolérance, au respect des identités et des écarts, on cherche à corriger les injustices passées de la société envers les amours de même sexe en pratiquant une autre forme d’Inquisition purificatrice. Légitimée cette fois par le statut de victime associé a priori à toutes les personnes concernées par les attirances homosexuelles, et donc aussi par cette haine homophobe qu’elles suscitent chez certains hommes. Et finalement en croyant qu’on peut éradiquer tout surgeon d’homophobie à coups de karcher et de lance-flamme politiquement corrects.

Une attitude entièrement dictée par la mauvaise conscience. Laquelle ne peut produire que du refoulement et des décompensations en retour.

D’ailleurs plus on la traque et plus l’homophobie revient en force par endroits. Conséquence d’une excessive tyrannie des militants LGBT pressés d’imposer à tous leur un Nouvel Ordre Egalitaire Mondial, en gommant toutes les différences objectives au profit d’une indifférenciation brutale et mensongère qui lamine le réel au rouleau compresseur d’un politiquement correct érigé en nouvelle religion totalitaire.

Il en va de même pour les viols, les violences conjugales, les actes et propos misogynes, qui refleurissent comme des décompensations à mesure qu’on les traque dans tous les recoins de la société. Notamment dans ce qu’il reste encore comme marges à cette société normalisée, compartimentée en territoires polissés où sévit le pouvoir bourgeois et sa morale bobo. En particulier dans ces quartiers de non-droit que le politique refuse désormais d’envisager. Où dans toute zone où la misère ou la colère rend les hommes réfractaires aux injonctions du politiquement correct, qu’ils moquent et transgressent avec une jouissance non dissimulée.

Reflet de cette fronde anti normalisation : le rap et ses acteurs les plus bankable. Dont les thèmes restent globalement invariants depuis 30 ans et surfent toujours sur les mêmes obsessions : femmes-objets hypersexualisées, pourvoir machiste des mâles, virilité surjouée, loi du plus fort, meute frondeuse, violence, compétition, exhibition, transgression, matérialisme outrancier et signes extérieurs de richesse, défiance à toute autorité, ego exacerbé…

Autrefois tendance dans les milieux médiatico-bobos parisiens, cette icône du caillera rebelle a aujourd’hui du plomb dans l’aile. Comme d’ailleurs tout modèle qui met en avant de façon trop évidente et agressive le sexe rebelle.

La France des années 2020 est devenue extrêmement frileuse. On est prié de ne pas exhiber son sexe, même de façon symbolique en bandoulière. Tout au plus a-t-on le droit de suggérer, sans jamais choquer l’une de ces catégories de victimes essentialisées que sont les femmes, les enfants, les homosexuels, les transsexuels, les non-binaires… Lesquelles mènent désormais comme dans les sociétés anglosaxonnes une croisade sans merci contre tous ceux qui sont accusés à leur égard de micro-agression. Un concept nouveau importé des Etats-Unis, qui consiste à projeter sur l’autre ses propres phobies, en l’accusant de par sa simple différence de constituer une menace a priori. Ou encore à plaquer sur un propos anodin une intention blessante qui n’existe que dans l’esprit de celui ou celle qui s’érige en exclu ou en victime offensée.

Une idéologie extrémiste qui transforme la société en enfer absolu, où toute expression subjective devient immédiatement suspecte. Et où le sexe ne sera bientôt plus possible que sous le contrôle et par la médiation de l’Intelligence Artificielle chargée de surveiller le moindre de nos faits et gestes, de nos émotions, intentions ou pulsions.

Être c’est désirer. Or si le simple fait d’être et de poser un désir devient potentiellement une offense à l’autre. Alors il ne sera bientôt même plus possible d’être.

De renoncements en renoncements, nous en viendrons bientôt à n’être plus que des artifices édulcorés privés de toute humanité. De toute vérité. De simples hologrammes sociaux préprogrammés. Dont on aura éradiqué tout élément trop saillant, imprévisible, spontané. Humain en somme. Notre avenir imposé, c’est le transhumain. Une machine mi-biologique mi-artificielle, dont chaque manifestation sera évaluée, contrôlée, validée ou déclenchée par la Matrice.

Or le sexe est précisément ce qui nous faire sortir de nous-mêmes, de notre périmètre de sécurité, aller au-delà du connu, au-devant de l’autre, nous incitant à prendre des risques, à nous décentrer, à nous remettre en question. Oser la rencontre, oser nous dévoiler, nous mettre en danger, nous identifier à nos désirs l’espace d’une rencontre, jusqu’à devenir plus tout à fait le même, un autre.

On ne peut être humain en se satisfaisant de soi-même. En se limitant à une monade, un entre-moi. En restant soumis à une nomenclature existentielle et essentielle. Car on devient qui l’on est en faisant l’expérience de soi-même dans la confrontation avec l’autre.

Cela va de n’importe quel type de relation que nous engageons avec nos dissemblables, et dont le sexe constitue la dimension la plus sacrée qu’il nous soit possible d’expérimenter dans le registre du physique. On ne « se » rencontre pas en ajoutant des appendices, des prothèses transhumanistes pour expérimenter d’autres facultés. On vit ce jeu entre identités et altérités, en nous-mêmes et en-dehors de nous-mêmes, au travers des échanges que nous nouons avec des autres.

Ces échanges ne sont pas d’abord matériels, comme la religion matérialiste et progressiste le prétend. Ils sont d’abord essentiels. Nous n’échangeons pas des choses, ou des portions de notre substrat physique, mais des parts de notre être essentiel. Ce que nous sommes ou croyons être. Ce que nous devenons, ce que nous créons, ce que nous expérimentons : des états d’être et des savoirs-être.

Le sexe représente un passage à la limite. Dans le sexe, du moins dans une relation sexuelle consentie entre deux personnes adultes, il n’y a en vérité aucun deal matériel. Il n’y a rien à avoir, rien à consommer, aucune prise, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Car toute prise définitive qui enserre le rapport sexuel dans le physique est une chute, un terme, une petite mort. L’extase au contraire suppose l’engagement total autant que le renoncement à posséder l’autre. Le don total de soi, l’oubli de soi pour laisser toute la place à l’expérience dynamique de la seule Relation, de l’intrication volubile et fertile.

Le summum du plaisir charnel donne un accès direct aux profondeurs de celui ou celle qui est notre partenaire sexuel. Que cette relation dure une heure ou une vie, cela revient au même. Aucune autre activité humaine ne donne un accès aussi entier et immédiat à la totalité de Qui est vraiment l’autre.

Ce que la normalisation totalitaire en marche sur fond de Grande Terreur moralisatrice est en train d’accomplir aujourd’hui, c’est d’interdire fondamentalement définitivement aux individus de se connaître, selon l’expression biblique consacrée.

Or pour se connaître selon les lois d’attraction du sexe, encore faut-il partager cet état de liberté, d’insouciance, d’innocence, de joie, d’enthousiasme, ce trouble ravissant qui accompagne tout émoi sexuel.

Si le sexe devient grave, lourd, suspect, ou pire, s’il est totalement contrôlé par Big Brother, cet Œil de Sauron omniprésent et omniscient, comme une divinité jalouse obsédée de nous connaître par elle seule et pour elle seule, nous cessons d’être des consciences individuées, libres et créatrices de réalité, pour devenir des objets, des outils voués au plaisir d’un seul ou d’une élite.

C’est exactement ce à quoi veulent nous réduire ceux qui concentrent tous les pouvoirs. Et qui voudraient nous aliéner définitivement en prenant un pouvoir absolu sur nos âmes.

Le sexe nous fait expérimenter cette dimension divine qui est en nous. A un niveau superficiel, biologique, nous nous unissons charnellement, nous mélangeons nos gènes, et nous nous abîmons ainsi dans l’illusion frétillante de donner la vie. A un niveau plus subtil, quand nous nous oublions nous-mêmes dans le coït et l’orgasme avec notre partenaire. Nous quittons momentanément la conscience d’être soi : nous cessons d’être une conscience individuée et nous avons cette sensation indescriptible de fusionner avec l’autre. Mieux encore si nous nous élevons encore dans l’échelle du plaisir, nous perdons totalement toute conscience d’être un seul pour devenir l’Un, le Tout : Dieu.

C’est bien pour cela que le viol est bien plus qu’une pénétration physique non désirée. On peut se remettre d’avoir été pénétré sans son accord. La blessure physique finit par s’estomper. En revanche la blessure psychologique, et plus encore la blessure spirituelle, ontologique, paraît plus indélébile, elle marque toute une existence. Car être violé(e) c’est être victime d’une intrusion non désirée d’une conscience étrangère dans les profondeurs sa propre conscience. Un accaparement non désiré de Qui l’on est en profondeur. Bien plus qu’une blessure physique liée à un acte violent et traumatisant ou à une profanation de notre intimité au plan physique.

Ce moment d’extase paraît infini même s’il est fugace. Et il n’existe pas de plaisir plus grand dans l’ordre physique. L’espace d’un instant dilaté aux dimensions de l’éternité nous SOMMES Dieu. Ce que les mystiques et les ascètes expérimentent parfois au terme d’une longue quête spirituelle, tout être humain peut l’entrevoir au moins de façon fugace, pourvu qu’il s’engage sur cette voie « tantrique », avec cœur, persévérance et sincérité.

Mais le Meilleur des mondes voue une haine irascible à tout ce qui est tantrique, mystique ou spirituel. Lui qui ne sacralise que le matériel érigé en marchandise. Comme à tout ce qui relève de la conscience faisant l’expérience de la joie et de la fécondité sous l’angle du physique. Il veut au contraire éradiquer cette réalité de nos esprits, la nier pour mieux se l’approprier et exercer un contrôle total sur les êtres.

Parce que le sexe est à l’interface de ce qu’il y a de plus charnel et de plus sensationnel dans l’expérience incarnée. De ce qu’il y a de plus élevé dans le degré de conscience de Qui nous sommes vraiment, d’où nous venons et Qui nous devenons. C’est le grimoire le plus puissant dont nous sommes dépositaires, et dont on voudrait nous déposséder.

Si nous nous tournons vers nos enfants en ayant honte de ce qui fait de nous des hommes vivants et des dieux créateurs, si nous projetons sur eux nos angoisses à propos de ce qui permet de nous connaître en profondeur et de nous dépasser, alors nous les emprisonnons dans cette névrose collective déshumanisante qui précipite la mort de nos sociétés et peut-être un jour prochain de notre espèce.

Il serait bien plus judicieux de les préserver de cette angoisse et de ses effets délétères en nous ôtant toute culpabilité à propos du sexe. Un sexe que nous avons prétendu libérer, mais que nous continuons de brider, de refouler, d’ériger en objet de méfiance et d’opprobre, et qui revient cycliquement comme le retour du refoulé nous hanter, nous agresser sous des travers de plus en plus violents et terrifiants.

Ôter toute culpabilité ne veut pas dire céder à la permissivité. Il ne s’agit pas de tout se permettre. L’économie des plaisirs doit toujours obéir à une juste conscience de soi, comme à un juste respect de l’autre.

Notre société consumériste et faussement hédoniste nous pousse vers l’exact opposé : l’autre est une marchandise à consommer comme les autres. On commande un plan cul sur telle appli comme on commande une pizza.

Il faut remettre les perspectives en place, réordonner nos valeurs. Nous défaire de cette société de l’objet, où nous devenons à notre tour des objets marchands. Remettre le Sujet au pinacle. Sans nous égarer plus avant dans un individualisme dépressogène et destructeur. Rétablir cet ordre essentiel où chaque Je est un Nous. Et donc où le sexe n’est ni un combat, ni un simple emboîtement entre un Je et un Tu, mais une symphonie de Nous qui vibrent à l’unisson.

Pour ce faire, il faut accepter que tout est sexuel et que chaque être est sexuel, à des degrés divers et selon des modalités infinies. Depuis le nourrisson jusqu’au vieillard agonisant.

Non pas en rétablissant cette injonction tyrannique au plaisir pour tous, ou en nous projetant dans une illusion de l’éternelle jeunesse, de la performance sexuelle et du devoir-jouir. Mais en admettant que toute conscience individuée dès lors qu’elle s’incarne est plongée dans un faisceau de désirs protéiformes qui éveillent, confrontent et cisèlent ses propres désirs. Et dont le sexe est l’archétype, en tant qu’énergie, force d’attraction et de transformation qui dépasse très largement la sphère génitale et englobe les dimensions les plus sacrées.

L’invention de la sexualité au 19e siècle, puis de la psychanalyse dans le sillage de la psychiatrie, nous a hélas enchaînés au sexe en le dénaturant totalement, en le limitant à une affaire de pulsions, d’instincts, de libido, d’attractions animales, de fantasmes, de plaisirs génitaux, de phéromones et de mécanismes biochimiques dans le cerveau. Oubliant toute la part sensuelle, érotique, affective, symbolique et spirituelle du sexe.

Pire, elle a réduit la psyché à une simple affaire de déterminismes biologiques et psychologiy, créant des catégories hermétiques, des normes auxquelles se conformer de façon exclusive et des aberrations à éradiquer. Une pure chimère d’entomologistes maniaques.

Or le sexe ne connaît aucune norme. Ce bien mal nommé (du latin secare, couper : ce qui coupe l’humanité en deux sexes opposés, mâle et femelle) est en réalité ce qui abolit les frontières apparentes de l’identité, en réconciliant les contraires, en unissant les semblables voués à la compétition mimétique, en dépassant l’apparente dualité pour rejoindre l’inaccessible Unité essentielle.

Le sexe est LE langage avant le langage, qui permet au terme de l’expérience de l’autre au-dely de l’autre de poser un langage et d’ordonner ces expériences relationnelles les plus archaïques, archétype de toutes les autres, en termes de bien ou de mal. En ce sens la lecture freudienne du mythe biblique de la Genèse dit juste. C’est en posant un regard conscient et un discours sur le sexe, sur l’indicible, que nous orientons nos consciences selon des bornes éthiques que nous posons, désignant ceci comme un bien et cela comme un mal.

L’erreur est d’essentialiser le Bien et le Mal, en en faisant des catégories ad hoc qui existeraient indépendamment de l’expérience humaine que nous en faisons et des repères culturels, juridiques, moraux, religieux, qui leur confèrent du sens.

L’enfant n’est pas innocent parce qu’il serait affranchi du bien et du mal, et donc de la faute originelle. Il est simplement ignorant de ses catégories, non déterminé par elle, en deçà des discours qui les structurent. Et donc plus proche que l’adulte de Qui nous sommes radicalement d’un point de vue ontologique : des êtres créateurs, rayonnants, tout puissants, totalement libres, dépourvus de toute limite morale à cette liberté d’expérimenter et de créer.

Ce que la culpabilité à propos du sexe nous empêche précisément de réaliser. Une culpabilité consécutive à l’oubli de l’extase (la petite mort) qui nous avait un temps réconciliés avec notre vraie nature divine, et à cette volonté obsessionnelle de réitérer cette expérience immatérielle et fusionnelle au cœur de la matière en la renouvelant de façon compulsive, et assignant l’autre à n’être rien d’autre qu’un objet de plaisir. La culpabilité, poison dea conscience, est ce qui voile toute vraie connaissance, qui n’est pas un savoir où un discours formel, mais un naître-avec (être avec). C’est à dire un co-devenir en pleine conscience.

Nous faisons du sexe pour nous ressouvenir (de Qui nous sommes). Et puis nous entrons malgré nous dans une dépendance au corps et au sexe, parce que nous oublions ce que nous cherchons à saisir et nous approprier : le mystère des mystères, le secret des secrets de notre existence incarnée.

Le sexe n’est pas ce qui sépare les êtres, mais ce qui nous relie à ce Dieu que nous sommes, présent en nous comme Conscience infissible manifesté dans cette existence incarnée. La seule Réalité qui Est, opposée à toute illusion de la Séparation, matrice de toutes les soifs, de toutes les souffrances et de toutes les violences.

Le sexe nous révèle à nous-mêmes non comme duels – mâles et femelles – ou même doubles – à la fois masculins et féminins – mais multiples, complexes, infinis, toujours renouvelés. Expérience troublante de la Vie qui se ramifie et se manifeste en une infinité de réalisations.

Le sexe défait autant qu’il exalte toute tentative vaine de s’arc-bouter à une identité, à des stéréotypes de genres opposant les hommes et les femmes en deux versants opposés et complémentaires d’une humanité qui serait scindée en deux parties distinctes. Ceux qui voudraient enfermer la virilité comme la féminité dans des caricatures rassurantes et inamovibles, congédiant toute ambivalence, creusant les fossés intermédiaires pour mieux s’affirmer comme un vrai homme ou une vraie femme, sont autant esclaves du sexe qu’ils en sont ignorants.

Car le sexe est tout sauf l’art du pastiche et de la représentation. Passé les rituels de la parade nuptiale, une fois la connexion profonde établie, il est Avènement. Théophanie. Célébration. La plupart des héros du sexe autodésignés sont en réalité des amateurs dérisoires. Ils n’en connaissent que le pourtour, les artefacts, la parodie. L’essentiel leur échappe. Car cet essentiel ne peut être représenté ou simulé. Il ne peut être qu’être vécu. Comme une plongée dans l’Océan qui permet à la goutte d’eau de DEVENIR l’Océan.

Le sexe est aussi l’archétype premier de notre pouvoir divin de création. Création d’un autre, un tiers, croit-on sommairement quand on contemple ce spermatozoïde sorti de ses propres profondeurs qui se précipite pour féconder un ovule. Alors que cet accouplement microscopique ne produit tout au mieux qu’un amas de cellules au sein duquel une conscience pourra venir élire librement domicile.

Le sexe est bien plutôt création de soi, ou plutôt conscience de soi en devenir tendue vers un autre, au terme de cette expérience unique de sublimation de l’ego qu’est l’union charnelle de deux corps. Création de sens également, car le sexe sans l’amour, comme la science sans conscience, n’est que ruine de l’âme.

Ce qui donne du sens à la relation sexuelle, fugace ou durable, c’est le degré d’amour, d’intrication de conscience, et le cœur qu’on y met.

Or cette société nous pousse à ne concevoir le sexe que comme un vulgaire marchandage. Et finalement, sans le dire ouvertement, une façon de réifier l’autre dans des bornes admises. D’en faire un jouet, un instrument de plaisir. Partenaire de chair ou robot sexuel, après tout c’est la même chose.

Selon la conception anglo-saxonne du sexe comme de toute relation sociale, celles-ci ne sont en effet fondées que sur l’utilité, l’intérêt et le contrat. Baiser est licite dès lors qu’il s’inscrit dans un projet contractualiste.

Idem pour faire un enfant. L’enfant n’est plus aujourd’hui un être à part entière, autonome, qui s’invite dans l’intimité de deux êtres candidats au statut de parents, c’est un projet entre deux personnes qui s’entendent sur le fait de faire ou d’élever un enfant. Le plus souvent pour combler un manque affectif ou satisfaire un désir narcissique.

Demain assurément le Meilleur des mondes leur livrera clés en mains un embryon ou un nourrisson fraîchement décanté (selon l’expression du roman éponyme d’Aldous Huxley), parfaitement conforme aux critères nomenclaturés de leur projet : garçon ou fille (ou entre les deux), blond, brun ou châtain, avec des yeux bleus ou marron, tel type ethnique et tels traits de personnalité commandés sur catalogue, fabriqués par manipulation génétique et mis en couveuse dans un utérus loué pour l’occasion.

Pour le sexe c’est déjà la même chose : pour choisir son partenaire sexuel, pour une heure ou pour la vie, il suffit de se rendre sur l’une des centaines d’applis de rencontre disponibles sur PlayStore, et de choisir selon les critères requis. Une façon d’empêcher le désir de s’exprimer plutôt que de le stimuler. Puisque le désir personnel pour un autre nommément identifié est toujours la résultante d’une cocréation, et non d’un fantasme élaboré seul dans sa chambre.

En conclusion, le sexe est aujourd’hui pris otage et le lieu d’un enjeu capital : allons-nous nous laisser réduire à une somme d’êtres individués, séparés, isolés, distanciés, confinés, mis en relation à l’occasion par la Matrice ? Ou allons-nous enfin accéder ensemble à la conscience de former un Tout cohérent et indissoluble, une entité consciente, autonome, plus encore qu’un Collectif ?

Allons-nous accéder tous ensemble à ce degré de conscience supérieure, à l’expérience du Tout, dont le sexe n’est qu’une expérience et une préfiguration passagère ? Ou allons-nous régresser à l’état le plus primitif d’individus disjoints, déconnectés, hostiles les uns aux autres, sans aucune conscience d’être reliés hors des modèles artificiels façonnés par l’Intelligence Artificielle, elle-même reliée à la Matrice ?

Allons-nous renouer avec cette énergie primordiale et éternelle inscrite dans le sexe et sa partie la plus sacrée ? Ou allons-nous juste devenir des piles biologiques pour alimenter en énergie les machines et donner à des programmes informatiques l’illusion d’une conscience, comme dans le film Matrix ?

L’essentiel du combat qui se joue aujourd’hui dans nos consciences se trouve là : évoluer, en intégrant dans le grand saut toutes nos spécificités humaines. Ou bien nous perdre en prétendant nous affranchir des déterminismes biologiques, dans une folie transhumaniste qui n’est rien d’autre que le renoncement définitif à toute humanité et à ce qui fait de nous une espèce vivante, aimante, évoluée et féconde.

Ce que deux partenaires vivent dans l’étreinte amoureuse, le dépassement de soi et le face à face avec l’Absolu dans une indicible extase, l’humanité le vit aujourd’hui face à cette Conscience supérieure qui l’appelle vers ce Grand Saut de conscience, le plus vertigineux et le plus significatif qu’elle ait jamais vécu. Avec deux tentations opposées : se refermer sur soi, nier cette dimension qui l’élève vers une Altérité plus élevée, ou tenter de se l’approprier en prétendant en être l’auteur dans une prétention folle à se détacher de la Source qui nous porte. Et celle qui consiste à ne plus assumer la part incarnée, pesante, dolente de notre identité. A nous prétendre affranchis des contraintes du réel, à nous recréer intégralement au point de n’être plus que des assemblages logiques reliés à une Intelligence Artificielle, et transférés dans tout autre support que ces corps mortels bien imparfaits et encombrants : robot ultraperformant ou mémoire encryptée dans un ordinateur quantique.

Cette utopie transhumaniste, c’est la réification absolue de l’humain, la sacralisation de la matière, la réduction de la conscience à l’intelligence rationnelle, et pour finir le refus radical de l’incarnation. Et donc du sexe qui en constitue à la fois le prolongement et le dépassement, le médiateur horizontal mais aussi vertical entre les consciences individuelles et les plans de conscience.

Nous croyions tout savoir sur le sexe, en avoir épuisé toutes les manifestations. Nous découvrons au terme d’un processus de désenchantement que nous avons provoqué que tous nos discours savants sur le sexe, et toute cette prétention ridicule des pouvoirs à le cartographier et l’instrumentaliser explosent en laissant un vide absolu, traversé de fulgurances foisonnantes et fascinantes. Un espace où tout devient possible. Surtout le plus sublime.

Sortir du féminicisme, version extrémiste du féminisme

Dans un article paru aujourd’hui, Marianne revient sur le sujet très débattu des violences conjugales en posant une question évidente mais essentielle : « Violences conjugales : qui voudra voir que l’agresseur peut être une femme ? 

Agresseur – femme : un oxymore ?

Est-il si difficile d’admettre que la violence conjugale est une réalité qui ne concerne pas que les femmes ? Qu’elle n’est pas un phénomène univoque ?

La violence ne serait-elle qu’une spécificité masculine ? Les hommes, parce qu’ils seraient perçus comme « plus forts » que les femmes selon des critères physiques, ou « plus agressifs » selon des critères hormonaux ou psychiques, seraient-ils les seuls capables d’user de violence envers leur conjointe ?

Une femme n’est pas capable aussi de se montrer violente, de harceler un homme verbalement, physiquement, psychologiquement, ou sexuellement ?

Et si l’on va plus loin, n’existe-t-il pas au cœur du féminisme une forme d’hyperviolence manifeste et arbitraire, travestie en prétention justicière, égalitaire ou libertaire ?

15775765

Nos croyances sexistes ont la vie dure ! Toujours cette fameuse différenciation sexuelle et physique, matrice de tous les stéréotypes ou croyances véhiculées depuis des lustres quant aux déterminismes comportementaux liés au sexe.

Nous sommes tellement conditionnés par les discours que le terme même de « violences conjugales » évoque immédiatement des violences infligées par un mari à sa femme : menaces, intimidations, humiliation, cris, coups et blessures, viols conjugaux, allant parfois jusqu’au meurtre – pardon, au « féminicide ».

Nous reviendrons sur le sens de l’imposition de ce néologisme…

Soyons très clairs : il n’y a nul lieu ici de relativiser, de minimiser, de prétendre occulter ou d’ironiser sur une réalité qui est un drame réel pour beaucoup trop de femmes. Un drame personnel pour les victimes elles-mêmes, mais aussi souvent pour leurs enfants et leur entourage. Un drame social et collectif pour une société incapable de les prévenir et d’y apporter des solutions efficaces.

La violence conjugale, et plus largement les violences faites aux femmes, sont une réalité statistique et juridique. Mais aussi un thème récurrent qui traverse depuis des générations les discours, les représentations, les schémas culturels et même politiques.

Cette violence est aujourd’hui partout commentée, condamnée, reproduite et mise en scène dans un très grand nombre de films, de romans, de talk-shows, de séries télé.

Un thème « social » souvent associé aux ravages de l’alcoolisme, du chômage, à la délinquance, aux frustrations personnelles, à des déséquilibres psychiques ou une « enfance malheureuse ». Mais aussi au fanatisme religieux, notamment musulman, qui en excuse et en préconise même l’usage d’une façon déclarée « licite », comme le viol conjugal.

Au 19e siècle, sous la plume d’écrivains comme Zola dans La Bête humaine, il était d’usage pour dépeindre la misère propre à cette classe dite « prolétarienne », de décrire avec les codes du roman naturaliste ces violences conjugales comme un fait coutumier, un phénomène social parmi d’autres, et de présenter cette violence comme un synecdoque ou une allégorie de la violence propre à toute la société.

Cette société injuste, « capitaliste et bourgeoise » fondée sur « l’oppression de l’homme par l’homme », selon la bonne vieille grille de lecture marxiste. Une violence sociale génératrice d’autres violences publiques ou privées.

Cependant ce n’est ni Marx ni la Révolution ni les utopies en vogue qui libéreront les femmes.

Ce sont les femmes elles-mêmes !

Le mouvement d’émancipation des femmes dans la société industrielle démarre en Europe à la fin du 19e siècle et se structure au début du 20e siècle.

Notamment après cette Grande guerre où les femmes auront joué un rôle essentiel, prenant en mains les rênes des nécessités domestiques, agricoles, économiques, politiques, pendant que les hommes étaient occupés à combattre au front. Pendant que ces « poilus » s’entretuaient pour pas grand-chose, leurs femmes prirent leur place, faisant tourner les fermes, les écoles, les dispensaires, les mairies, les ateliers, les usines, les administrations… pour que la vie continue.

Les très festives et permissives Années folles qui suivirent virent exploser le mouvement des suffragettes : les femmes britanniques, suivies de près par les sœurs américaines, n’entendirent plus cette fois se contenter de faire tourner la boutique pendant que leurs maris jouaient à la guerre. Elles exigèrent droits, à égalité avec les hommes, et le firent savoir haut et fort !

Un tremblement de terre. Une révolution. Dans cette société victorienne encore très corsetée, puritaine, où chaque lady se devait de rester à sa place, respecter son mari, bien élever ses enfants, être une mère attentive et dévouée et une épouse modèle.

En France il faudra tout de même attendre 1947 pour que les Françaises accèdent au droit de vote au suffrage universel. Et 1965 pour qu’elles aient le droit d’ouvrir un compte sans l’autorisation de leur mari.

Ces turbulentes années 1960/70 sonnèrent précisément le grand Réveil pour toutes les aspirations aux « Changement ». Elles marquèrent le tournant majeur pour les nombreuses revendications libertaires portées par une jeunesse rebelle aux cheveux longs, bercée par le rock, enivrée par de nouveaux rêves de liberté et des idéaux fleuris, parfumés de marijuana et irisés par le LSD.

Un grand bazar éclectique et bon enfant où venaient se brasser toutes les utopies. Et qui donna une conscience politique à une jeunesse de baby-boomers gâtés par la croissance économique et une société de consommation matérialiste dont ils contestaient pourtant ardemment les fondements. Une jeunesse non-conformiste, altruiste et désinvolte qui manifestait volontiers, et faisait beaucoup de bruit pour réclamer de nouveaux droits, proclamer la liberté sans limites et la paix universelle, en dénonçant cette absurde Guerre du Vietnam.

Parmi les causes humanistes qui ont le plus progressé durant cette décennie glorieuse qui marqua l’apothéose des gauchistes et des hippies de toutes tendances (1966-1974), il y a bien sûr les droits civiques pour les Afro-américains, ceux des « travailleurs » avec les accords de Grenelle, et surtout cette fameuse Révolution sexuelle, cette frénésie de plaisirs militant pour l’abolition de tous les interdits moraux liés au sexe. Une révolution des mœurs et de la sexualité favorisée par l’invention de la pilule contraceptive (1968), l’exploration des paradis artificiels et des substances désinhibitrices, et le triomphe des théories psychologiques et psychanalytiques prônant la liberté sexuelle absolue comme celles de Wilhelm Reich.

woodstock-1969-la.jpg

Les minorités LGBT ont été parmi les premières à porter ces revendications sur la scène publique et politique aux côtés des féministes, forçant une majorité frileuse et moraliste à jeter leur regard sur ces réalités honteuses et refoulées.

Quant aux mouvements féministes, souvent alliés des mouvements défendant la cause homosexuelle, ils accèdent à partir de cette période à une visibilité politique et médiatique jusqu’alors inégalée.

Une véritable prise de conscience sur le rôle des femmes dans la société et les identités sexuelles se produisit alors, qui toucha toutes les femmes, mais aussi de nombreux hommes engagés à leurs côtés pour faire évoluer la société.

Mais le mouvement féministe qui défendait leur cause, porté ou relayé par de brillants intellectuels progressistes de renom, prit aussi un tournant idéologique et politique beaucoup plus « radical » à partir de cette période.

Il ne s’agissait plus alors simplement de revendiquer des droits à égalité avec les hommes, mais de mettre carrément à bas cette « société oppressive, bourgeoise et capitaliste » et « l’ordre patriarcal, machiste et hétérosexiste » sur lequel elle se fondait.

La lutte pour les droits des femmes s’inscrivait alors quasi immanquablement dans une perspective « révolutionnaire ». Dont l’objectif était de ruiner les fondements de la société, de l’ordre établi, de la morale et de la politique. D’abattre les « pouvoirs » conservateurs qui le maintenaient et organisaient la répression, afin de bâtir une nouvelle société idéale, plus libre, plus juste, plus égalitaire, plus humaine, dans un vaste mouvement d’émancipation global qui marquerait le triomphe de tous les opprimés contre leurs anciens oppresseurs.

Ce lyrisme romantique directement inspiré des mythes et de la dialectique marxistes, cette mythologie libertaire, cette rhétorique révolutionnaire, ce rêve émancipateur et cette épopée héroïque digne de la Sortie d’Egypte, ont été bien entendu exagérés, surjoués et reproduits à l’infini.

Les années 1980, beaucoup plus froides et cyniques, allaient marquer la fin de ce rêve « révolutionnaire ». Et le retour au réalisme pragmatique sur fond de crise économique. Avant cela, il était pratiquement impossible aux intellectuels et aux acteurs de la gauche révolutionnaire ou de progrès d’élaborer un discours social et politique qui s’affranchissent des canons idéologiques, politiques et rhétoriques imposés par la doxa freudo-marxiste.

Les droits des femmes et surtout leur place dans la société a considérablement évolué. Mais ces acquis n’ont cependant pas totalement évacué les prétentions « révolutionnaires » de certaines féministes.

Sauf que la révolution a depuis changé de visage, et le combat de forme.

Il a abandonné pour l’essentiel ses référents freudo-marxistes, trop démodés.

Encore qu’il en reste de sérieux vestiges et de curieuses résurgences dans ces réflexes discursifs propres à la rhétorique féministe. « Patriarcat », « sexisme » ou « hétérosexisme », « l’oppression masculine »… : autant de thèmes toujours actuels qui recouvrent des clichés idéologiques fondés comme toujours sur une vision caricaturale, manichéenne et hyper morale de la réalité : les bons d’un côté, les méchants de l’autre, les bourreaux d’un côté, les victimes de l’autre, etc…

Depuis les années 2000, ces clichés ont été acclimatés et édulcorés par la fameuse « théorie du genre ». Laquelle n’a jamais existé que dans les fantasmes des conservateurs hostiles aux progrès juridiques et sociétaux concernant les droits LGBT ou les avancées médicales en matière de procréation assistée.

En revanche les études de genre, principalement anglo-saxonnes, ont apporté un éclairage nouveau sur les réalités liées au genre. En permettant notamment de différencier sexe et genre. Et de distinguer les assignations culturelles, anthropologiques ou sociales liées aux stéréotypes de genre de l’appartenance personnelle à tel ou tel genre.

Les discours sur le genre tendent aujourd’hui de plus en plus à privilégier une compréhension selon une logique « constructiviste » du genre (masculin, féminin et autres genres intermédiaires comme neutre ou « non-binaire », trans, androgyne, queer…) plutôt que sur une logique « déterministe » selon laquelle chaque individu en fonction de son sexe de naissance (mâle ou femelle) est automatiquement déclaré « homme » ou « femme ». Avec toutes les assignations identitaires, psychiques, comportementales, culturelles, sociales attachées à chaque genre. Toute écart par rapport à ces modèles étant considérée comme anormal ou transgressif, et devant être réprimé.

genre

Cette évolution est d’une importance capitale et sans doute irréversible.

Car désormais le fait d’être un homme ou une femme n’est plus considéré comme un critère imprescriptible pour se conformer et se limiter à des rôles et des comportementaux sociaux, des stéréotypes et des attributions supposés relever de façon exclusive d’un genre ou de l’autre.

En d’autres termes les jeunes garçons n’ont pas à jouer aux mecs en se bagarrant, et les petites filles à rester bien sages en jouant à la poupée, pour correspondre à ce que leurs parents ou la société attend d’eux.

En outre il devient de plus en plus admissible que des personnes, pour des raisons multiples, ne se définissent pas par rapport à une vision dichotomique et segmentée du genre : homme vs. femme.

Ces réalités ont toujours existé mais pendant longtemps elles n’avaient pas été admises ni validées de façon positive dans les discours. Ceux qui s’écartaient de la norme en raison d’une sexualité ou d’un comportement jugé « déviant » (les homosexuels par exemple), ceux qui refusaient de se plier à des obligations sociales prescrites par leur appartenance au genre masculin (comme le fait de se faire réformer de service militaire) étaient montrés du doigt, raillés, voire persécutés.

Aujourd’hui un homme n’a pas besoin d’exhiber son phallus, de monter ses muscles, d’afficher ses conquêtes ou de vanter ses prouesses sexuelles, encore moins d’être une brute épaisse, un prédateur sexuel ou une star du ring pour prouver qu’il est un homme, « un vrai ».

Aujourd’hui les hommes ont le droit d’exprimer leurs émotions, leur sensibilité, leur fragilité, de s’occuper de leur bébé avec délicatesse, sans que l’on doute de leur virilité.

D’ailleurs la virilité, qui est une authentique qualité et même une vertu quand elle est bien comprise, n’a rien à voir avec des démonstrations de force, avec la vigueur sexuelle, ni même avec l’exhibition d’une barbe fournie comme substitut de masculinité, comme beaucoup de jeunes hommes se sentent obligés de la faire depuis une dizaine d’années.

La virilité, qui se définissait autrefois comme la vertu de l’homme mûr, dans la force de l’âge, mais aussi celui du soldat et du citoyen prêt à défendre son honneur et celui de l’empire, est aux antipodes de ce que beaucoup de sous-hommes frustrés s’imaginent.

La virilité en vérité, est une qualité « morale » (et politique).

Elle ne ressemble en rien à cette caricature grossière à laquelle s’attachent beaucoup d’hommes pour combler un déficit personnel de virilité ou d’estime de soi et qui se traduit par une exaspération forcée, exhibitionniste et narcissique des caractères physiques considérés comme « positifs » de la masculinité : musculature développée, force physique supérieure à la moyenne, insensibilité à la douleur, puissance agressive et conquérante, libido surdéveloppée, exhibition de signes extérieurs de pouvoir ou de richesse…

virilité

Cette vertu morale qu’est la virilité peut se résumer à la capacité à faire face à toutes circonstances, à combattre l’adversité tout en restant juste et maître de soi.

Cette compréhension de la virilité a ses codes culturels et une histoire.

Dans la Grèce hellénistique, puis dans l’Empire romain, cette conception de la virilité au cœur de l’édification politique et sociale de la Cité, s’exprimait notamment dans les codes de la statuaire antique représentant des modèles masculins sous les traits de soldats, de champions, de gladiateurs, de héros mythologiques, de patriciens ou d’empereurs romains.

Ces représentations n’avaient pas pour objectif de montrer des hommes bien faits et virils en apparence, mais de laisser entrevoir au travers de ces modèles les qualités et les vertus morales qui fondent l’Idéal de l’homme viril et vertueux. En construisant un « type » physique constitué de formes, de représentations, de codes symboliques et esthétiques qui synthétisent et donnent à contempler ce qui est a priori impossible à figurer plastiquement et relève de l’essence plutôt que de l’apparence. Du fond plutôt que de la surface. De l’intériorité plutôt que de l’extériorité.

Ce qui est suggéré au travers de ces formes ce n’est pas les qualités objectives d’un guerrier ou d’un homme de pouvoir, mais les qualités morales et le caractère exemplaire du parfait citoyen de la République. Du patricien ou de l’empereur qui incarne les vertus romaines. Une vertu personnelle, collective et politique qui ordonne la société et fonde l’Etat. Et qui se caractérise souvent par l’éducation, l’aptitude à affronter l’adversité, à combattre pour défendre le rayonnement, les idéaux et l’honneur de l’empire ou de la patrie.

Mais aussi également une rigueur morale personnelle et comportementale centrée sur la maîtrise de soi.

Un homme vertueux et « viril », était celui qui savait maîtriser sa force, ses désirs, ses pulsions, ses appétits, ses passions. Et qui jamais ne se complaisait à y céder de façon excessive ou désordonnée. Que ce soit dans la débauche, l’avilissement physique, psychique ou moral, l’usage immodéré des plaisirs, le relâchement, l’intempérance, la paresse, la cupidité, la gourmandise, la forfaiture, les excès et bassesses en tous genres.

Un homme était celui qui en toutes circonstances pouvait rester maître de lui-même. Qui jamais ne se laissait déchoir de son rang et jamais ne défaillait à sa mission, à ses obligations politiques, militaires, morales et citoyennes. Démontrant ainsi qu’il était capable de diriger les autres, sa famille, son clan, sa cité, son armée ou son pays, avec une égale et constante vertu.

On retrouve à peu près le même schéma d’idéalisation des vertus dans la société féodale et chrétienne. Notamment dans le chevalerie, les codes d’allégeance et ceux de l’amour courtois. Un chevalier, même encore aujourd’hui dans le langage courant, n’est-il pas un homme qui sait bien se conduire de façon noble et courtoise avec les femmes, comme il sait se montrer vaillant au combat, juste et généreux envers les faibles et loyal avec son suzerain ?

2532787248

Si l’on extrapole cette vertu morale qui déterminent les traits de la « noblesse » non pas de sang mais d’esprit, cette conception de la virilité qui n’a rien de « sexiste » peut tout aussi bien être considérée comme une vertu dont peuvent également faire preuve beaucoup de femmes. Des femmes dont la force morale, la droiture, la capacité à se gouverner et à gouverner les apparentes à ces qualités a priori attribuées aux hommes. Sans pour autant que cela ne nuise à leur nature ni à leur féminité.

Une femme vertueuse selon ces canons éthiques appliqué à l’homme viril démontre un esprit viril, ferme et juste. Ce qui n’enlève rien nécessairement à sa sensibilité, sa douceur, son charme, toutes des qualités réputées féminines.
01d817e629eaea131846b5b4498b2f6e--high-fashion-shoots-bow-blouse
Les femmes n’ont pas besoin de pasticher les hommes pour prouver leur légitimité à exercer le pouvoir. A s’habiller en tailleur et pantalon, voire cravate, pour jouer les business women, montant ainsi qu’elle ont pris la place de hommes.

Ce serait fétichiser et le pouvoir et les codes qui régissent les apparences extérieures de la fonction comme de la masculinité.

Hélas notre époque préfère les raccourcis et les schémas réducteurs aux nuances. Beaucoup s’y laissent malheureusement piéger.

Du côté des hommes en manque de virilité, se prétendent aujourd’hui « virils » tous ces petits caïds de banlieue rebelles et ridicules, immatures, vulgaires, misogynes, homophobes, arrogants et provocateurs. Des pervers narcissiques esclaves de leurs complexes permanents d’infériorité, et qui confondent arrogance et autorité, violence et force, intimidation et ascendant, obscénité et séduction. Des faux hommes, des « spécieux ridicules« , qui n’ont absolument aucune considération ni pour les autres ni pour une société qu’ils haïssent, parce qu’ils lui reprochent injustement de leur refuser cette reconnaissance qu’il mérite par le seul fait d’exister.

Les violences sexistes actuelles sont sans doute en grande partie le fruit de cette valorisation excessive par les médias et les bien-pensants d’une déshérence, d’une vacuité morale et d’une médiocrité arrogante érigées en modèle subversifs et en fausses vertus.

Cette perversion, cette inversion des valeurs, cette perversion des modèles de la virilité contaminent même les femmes. Et surtout les féministes les plus radicales qui s’en réapproprient inconsciemment la charge subversive et violente, par un phénomène réactif de confusion mimétique.

Il est ainsi très fréquent de voir ces féministes ultra, piégées par les stéréotypes qu’elles combattent et par leurs distorsions symboliques, mettre en scène leur hostilité viscérale à la gent masculine en s’appropriant ces stéréotypes et en les utilisant comme des armes lancées contre leurs oppresseurs déclarés.

Ce n’est plus le théâtre héroïque de « la guerre des sexes » de nos parents, c’est la tragédie pathétique et funeste de « la haine de l’autre ». Une tragédie qui traverse tous les clivages identitaires et communautaires, notamment des identités sexuelles ou de genre. Et qui transforme l’arène politique et médiatique en ring de catch.

photo-afp-1519748556

Un exemple particulièrement éloquent à ce sujet est la dramaturgie et la symbolique utilisées par les Femen.

Leur « uniforme » joue en effet sur une symbolique excessivement perverse et équivoque. Leurs seins dénudés (une signature) n’évoquent aucunement quoi que ce soit qui pourrait attiser désir. Ni correspondre à l’icône des seins dénudés de la « mère nourricière ».

Au contraire les seins et la poitrine projeté vers le regard comme une main qui agresse sont souvent lacérés de slogans peints en noir qui zèbrent le corps d’une façon agressive, admonitoire voire volontairement blasphématoire.

La nudité surexposée capte le regard et assigne à la provocation. Elle n’est pas « montrée », mais exhibée, projeté, jeté à la figure. Avec une charge de violence subversive calculée selon les lieux publics où elle d’affiche : rue, place, et même parfois certains lieux « sacrés » volontairement profanés : églises, temples, hauts lieux voués au culte de Dieu ou de la République…

Quant au reste de l’uniforme Femen, il est invariablement composé pour le bas du corps d’un pantalon noir, souvent un jean sombre, plus rarement un treillis ou une jupe uniforme noire assortie de bas noirs et de chaussures noires. Le tout accompagné de poses guerrières ou pastichant l’attitude dominatrice et flagellante des maîtresses dans les rituels sadomasos.

19452107lpw-19452125-article-jpg_6556373_660x281

La symbolique est évidente, soulignée par la mise en scène très théâtrale (cris et slogans ultra violents, attitude rebelle et agressive…) : transgression, provocation, admonition, violence, castration voire plagiat sataniste (comme le plagiat du film l’Exorciste avec crucifix plantés dans le vagin sur la Place Saint-Pierre de Rome pour protester contre la venue du pape à l’ONU…)

Cette dramaturgie n’est ni fortuite ni gratuite. Elle n’entend pas seulement choquer, provoquer et attirer l’attention forcer le regard mais délivrer un message.

Un message explicite peint sur la poitrine et hurler aux passants. Et un message implicite beaucoup plus subliminal.

Car cette exhibition militante n’a paradoxalement rien de ludique, de situationniste ni de sexuel.

Au contraire, ce qu’évoquent les manifestations Femen, c’est la répression la plus noire du sexe. Ces femmes sont exhibées volontairement comme celles que l’on traînait autrefois ligotées et seins nues sur des charrettes pour les conduire à l’échafaud. Comme ces furies sorties de l’enfer pour emporter les âmes impies.

La façon dont leur corps semble tourmenté, lacéré, profané, presque martyrisé évoque plus la souffrance et la violence que l’image d’une féminité heureuse, aimable et sereine. Encore moins hyper lascive.

Ces corps sont des corps de femmes, et pourtant ils paraissent souvent androgynes. Seuls les seins et la chevelure attestent que ce sont bien des femmes qui s’exhibent. Les hanches, l’abdomen et tout ce qui se rapporte au sexe de la femme dans ses rondeurs et ses cavités intimes est obéré, inexistant, noirci, absent.

Quant à leur attitude, elle est éminemment « phallique ».

Ces êtres hermaphrodites, fanatiques et démoniaques, semblent surjouer l’hybridation, la souffrance de ne pouvoir être soi. Celle d’une identité confisquée, ligaturée, accaparée. Sans doute par leurs propres discours dont elles deviennent les panneaux d’affichage et les porte-voix consentants.

Surjouée à l’excès semble être aussi cette violence brutale et irascible reprochée habituellement aux mâles ou à la société pour en produire un avatar monstrueux, incarné sur le mode de l’hystérie vengeresse.

Mais il y a plus que cette exhibition malsaine. Derrière ce fracas théâtral et provoquant, il y a une idéologie beaucoup plus insidieuse qu’on ne saurait considérer à la légère.

Une idéologie qui accapare autant les hommes que les femmes, pour en faire les marionnettes d’une tragédie éternelle, factice et désespérée. D’un combat démiurgique et primitif dont la haine est le seul moteur et la seule issue.

Cette idéologie qu’on peut nommer féminicisme est un avatar pervers et extrémiste du juste combat féministe.

hqdefault

Un avatar d’autant plus injustifié et nocif qu’il tend à cannibaliser de façon totalitaire tout le mouvement féministe, et à kidnapper les femmes dans un chantage odieux du type « Avec nous ou contre nous ! »

Exactement comme les islamistes qui pour réaliser leur agenda opèrent un véritable kidnapping sur toute la « communauté » musulmane.

Cette idéologie qui n’est plus du tout libertaire ni égalitaire mais identitaire et totalitaire, est extrêmement pernicieuse. Pour les femmes, pour les hommes et pour la société.

Ceci est particulièrement flagrant avec la campagne démagogique et totalement instrumentalisée en 2018 sur le thème #balancetonporc.

L’outrance était évidente, qui prétendait vouloir faire croire que tous les hommes étaient peu ou prou des violeurs et des harceleurs en puissance. Que derrière chaque désir masculin pour une femme se cachait un porc lubrique sans aucune manière ou un loup sanguinaire.

Beaucoup de femmes dont beaucoup de féministes se sont heureusement élevées contre cette campagne. Elles ont été aussitôt insultées, traitées de « salopes », de « putes », de « collabos ». Simplement parce qu’elles avaient osé défendre le droit à la séduction. Et se sont opposées à une culpabilisation universelle des hommes allant jusqu’à la pénalisation du flirt ou de la galanterie.

Ces féminicistes castratrices n’ont que faire du féminisme ou des droits des femmes. Encore moins de la féminité. Ces discours militants ne sont tout au plus qu’une façade, un prétexte, une justification à leur haine. Ce qu’elles veulent c’est uniquement assouvir leur misandrie réactive, pathologique et meurtrière. Tuer tous ces sales mecs. Ou, si ce n’est pas possible, les castrer dès la naissance afin qu’ils ne puissent pas nuire aux femmes et à la société.

Un tel excès de haine relève évidemment de la pathologie psychiatrique. Et d’un sexisme radical qui s’ulcère à la seule idée que le sexe mâle puisse encore exister.

Qu’en est-il de l’avenir ?

fotolia_82343400_subscription_monthly_s

Aujourd’hui, entre les outrances machistes de Zemmour et celles hystériques des Femen, c’est à se demander s’il est encore possible en France de défendre sereinement des causes justes, sans sombrer dans l’exhibitionnisme et les manipulations hystériques, ces méthodes duplices et ces propos disproportionnés, qui au final desservent autant les femmes que les hommes.

Tout nous permet de douter que la complaisance politiquement correcte et clientéliste des politiques qui continuent d’aboyer avec « celles et ceux » qui crient le plus fort pour se donner bonne conscience, en perdant le sens des priorités et de la façon la plus efficace d’engager la responsabilité des politiques publiques, soit de nature à faire avancer les choses en faveur des femmes.

Encore moins à faire reculer les violences.

Qu’on songe à cette ridicule et démagogique « Grande cause national » consacrée aux « féminicides » l’an dernier.

Un sujet certes très important et qui mérite qu’on engage rapidement des moyens appropriés pour protéger, éduquer et prévenir. Mais surtout une mise en scène gratuite et même obscène qui joue plus sur les affects, le spectaculaire, la manipulation, la surenchère, et une culpabilisation victimaire permanente des hommes et de l’opinion, que sur une volonté sincère de résoudre efficacement le problème.

PHOTO-A-Paris-le-collectif-NousToutes-denonce-le-100eme-feminicide-de-l-annee

D’ailleurs moins de 150 cas recensés par an, c’est certes 150 de trop, mais force est de reconnaitre honnêtement qu’il y a en France bien des tragédies, et des « causes » ô combien essentielles, qui mériteraient d’être promues au rang de « Grande cause nationale ».

Car le but de ce néologisme féminicide, de cette politique ultra agressive, de ce décompte quotidien obscène des morts, et des discours dogmatiques qui les accompagnent, c’est avant tout d’essentialiser les femmes dans un statut de « victimes par nature ».

Une femme, parce qu’elle est une femme, et parce que les hommes – ou « la société machiste, sexiste et patriarcale… » – sont ce qu’ils sont, sont toutes par essence des victimes.

Et les hommes, parce qu’ils ont un pénis et vénèrent leur phallus, sont tous par essence des bourreaux.

Ce sont irrémédiablement par essence des êtres lubriques, stupides, agressifs, violents, des flambeurs, des dragueurs, des emmerdeurs, des harceleurs, des violeurs et des assassins en puissance.

Une façon d’essentialiser des caractéristiques animales fort discutables sur le comportement des mammifères. Et de transformer cette éthologie de l’homo sexualis en une anthropologie universelle du masculin qui résume l’homme à ses pulsions sexuelles, reproductives et agressives.

Une façon d’évacuer toute forme de civilité ou de culture dans la gestion des comportements humains entre les hommes et mes femmes, et d’abolir ainsi des centaines de milliers d’année d’évolution de l’espèce humaine.

Une façon implicite de sous-entendre que seules les femmes auraient pu jouer dans l’Histoire humaine et dans nos sociétés contemporaines un rôle « civilisateur », en réprimant les pulsions agressives de l’espèce dont les mâles sont esclaves au bénéfice des qualités régulatrices et civilisatrices réputées abusivement « féminines ».

Un vieux thème ressassé par le mouvement féministe depuis les années 1960, fondée sur de vieilles rengaines obsessives accréditées par certains historiens, sociologues ou anthropologues féministes plus ou moins sincères et leurs théories sur la prise du pouvoir par les hommes dans les sociétés matriarcales transformées en sociétés patriarcales.

Avec tous les mythes et clichés habituels selon lesquels les sociétés matriarcales seraient plus pacifiques, moins violentes, plus proches et plus respectueuses de la nature, des autres espèces, plus égalitaires, moins individualistes et davantage tournées vers le collectif. Des sociétés qui valoriseraient une sexualité libre et non réprimée, seraient fondées sur une économie du partage et de la redistribution, seraient moins axées sur la rivalité, la compétition, la conquête, le pouvoir, et qui auraient développé des formes d’organisation et de transmission plus équitables, moins centrées sur la propriété, moins idéalistes. Des sociétés plus humaines en somme.

Avec en arrière-plan le mythe du « bon sauvage » et la fascination contemporaine pour les sociétés primitives qualifiées abusivement de « non-violentes », proche de la nature, à une époque ou l’écologie nourrit fantasmes, angoisses et culpabilités.

A l’inverse les sociétés dites patriarcales seraient dominées par des mâles grossiers et brutaux, jaloux et dominateurs, souvent polygames, considérant les femmes comme du simple bétail. Elles seraient davantage tournées vers la chasse, la conquête de nouveaux territoires, la guerre, la compétition, la technique, des systèmes politiques et organisationnels hiérarchiques, la sacralisation du pouvoir et de l’autorité, une justice plus arbitraire et impitoyable. Ces sociétés auraient tendance à réprimer, codifier et normaliser la sexualité selon des modèles et des coutumes strictes, à proscrire l’homosexualité et les « déviances ».

Elles se caractériseraient par des formes religieuses fondées sur la vénération de dieux masculins, tout-puissants, colériques et autoritaires, souvent associés aux forces célestes, cosmiques et telluriques comme le soleil, le tonnerre, la foudre, les volcans. Elles seraient tout entière organisé selon une symbolique « phallique », militaire, idéalisant la force brute, réprimant ce qui relève de l’intime, de l’émotionnel, du sensible et du sensuel, assimilés à des faiblesses féminines. Les hommes auraient tendance à préconiser une indifférence envers les plus faibles, les malades et les peuples jugés inférieurs. Etc, etc…

ISIS-et-OSIRIS-UNE-CLAIRE-THOMAS

Isis et Osiris

Bien entendu tout ceci n’est pas entièrement faux. Mais comporte une large part de subjectivité et d’arbitraire. La réalité est beaucoup plus complexe et continue que ces schémas à l’emporte-pièces. Surtout lorsqu’ils sont nourris de préjugés qui orientent le regard de ceux qui élaborent ces théories.

Les discours qui ordonnent et orientent ces modèles anthropologiques construits à partir du 20e siècle à propos des sociétés anciennes comportent à l’évidence une part d’idéalisme mais aussi de projections morales dictées par la mauvaise conscience de « l’homme blanc occidental hétérosexuel ».

Le pire c’est que beaucoup aujourd’hui croient encore honnêtement à tous ces stéréotypes comme des vérités sacrées et irrévocables. Des vérités qui sonnent d’autant plus justes sous la petite musique du « Progrès » que notre société semble de plus en plus obsédée par une surenchère moralisante et politiquement correcte sur le questionnement ses « stéréotypes de genre ».

Toutes ces spéculations et théorisations fondées sur cette thématique binaire et dialectique entre cultures patriarcales et matriciales est une formidable bévue et une impasse conceptuelle. Elles ne servent qu’à légitimer et renouveler des schémas anciens et dépassés où le monde serait segmenté et le mouvement de l’Histoire orienté selon des logiques d’organisation et de pouvoir calibrées à partir de critères de différenciation sexiste élargie au référents anthropologiques, structurels, institutionnels, politiques, économiques et culturels.

Cette ordonnancement de l’Histoire humaine est encore moins pertinente quand elle s’amalgame avec d’autres angoisses et préoccupations générales et des prospectives futurologiques sur la mondialisation ou l’écologie. Notamment par exemple avec ces théories américaines fondées sur le concept d’écoféminisme qui associe la conscience écologique planétaire à la redistribution des modèles et critères différenciatifs du féminin et du masculin, à l’articulation des valeurs et des rôles politiques respectifs incarnés par les hommes et les femmes dans les sociétés.

Derrière une apparence de renouvellement de la pensée, cette philosophie écoféministe n’est rien de moins qu’une projection de type idéaliste et sentimentalo-romantique sur fond d’angoisse écologique et d’une tentative supplémentaire d’essentialiser le combat féministe en le reliant aux questions environnementales. Et, d’un point de vue symbolique et spirituel, une volonté de revisiter des mythes archaïques ou plus contemporains et des archétypes symboliques associés à la « nature » (Terre Mère, Gaïa…) ou projetés sur une « Nature » idéalisée dont la genèse remonte pour sa partie occidentale aux conceptions philosophique et théologiques médiévales sur l’Ordre de la Nature, reflet d’un prétendu Ordre Divin.

519128-c-est-quoi-l-ecofeminisme-953x0-2En définitive l’écoféminisme n’a d’autre racine véritable que la culpabilité occidentale de l’homme blanc face aux ravages causés à son environnement par une frénésie de conquête, de soumission et d’exploitation, et la perturbation catastrophique des équilibres qui menacent la survie de l’espèce. Une façon de conjurer l’angoisse, de refréner les appétits « masculins » de conquête, et d’anticiper un retour de flamme de « la Nature » qui sonne comme une punition infligée par une une divinité courroucée à une humanité intempérante. Une façon de se réfugier gans le giron d’une « Nature » fantasmée comme bonne et nourricière en abdiquant toute prétention trop « masculine » à la dominer, et en renversant l’ordre symboliques des valeurs pour se conformer aux stéréotypes d’une sagesse « harmonieuse et pacifique » projetés sur le féminin.

Une partie de notre société adopte sans le dire ni le savoir ces stands écoféministes. A tel point que la conformité à tout stéréotype du masculin dans les formes, les codes sociaux ou les discours devient parfois immédiatement suspecte.

Un véritable tyrannie s’instaure, notamment depuis une ou deux décennies aux Etats-Unis, où plus aucun conflit, plus aucune friction ni vexation, et plus aucune suspicion de questionnement de critères personnels identitaires ou communautaire n’est toléré. Tout écart de langage ou de comportemental aussi minime soit-il, toute parole qui met en cause implicitement la qualité d’un individu, est aussitôt qualifié d’agressif ou de violent. Un seul terme résume cette hystérisation des relations : celui de micro-agression. Un concept qui est un peu l’enfant naturel de la violence des sociétés postmodernes ajoutée à la tyrannie du politiquement correct hypernormatif. Toute expression ou geste public, aussi banal soit-il, qui peut-être interprété comme une insinuation, une intimidation, une dénégation de critères identitaires, peut valoir à son auteur l’accusation de micro-agression.

Cette tendance à la répression constante des opinions, des affects, du langage produit une infinité de phénomènes réactifs et de décompensations sur le registre de la provocation, de l’exhibition, de la rebellion et de l’outrance. Lesquels renforcent cette angoisse et cette suspicion en retour.

S’agissant de modes d’affirmation identitaire propre à la masculinité, le simple fait pour un homme de cultiver son apparence, de mettre en scène des postures, des comportements ou des discours pour se valoriser en affichant une virilité décomplexée est immédiatement catalogué comme une forme de  « machisme ».

De même, dans certains milieux rigoristes, une femme qui fait étalage de sa beauté et de ses charmes ou construit son personnage en un intégrant des codes de la séduction peut aussitôt être taxée de « femme légère », de « salope » ou de « putain ». Alors que les médias et les couvertures de magazines surjouent en permanence les codes de la masculinité comme de la féminité, incitant hommes et femmes à se définir à partir de ces standards dictés par le marketing.

L’exemple le plus éloquent de répression de la féminité est évidemment symbolisé par le voile islamiste, qui oblige toutes les femmes à disparaître derrière un accoutrement qui dissimile les formes, la chevelure, une partie du visage et parfois le corps tout entier. La seule manière aux dires de certaines musulmanes des quartiers sensibles d’échapper à la prédation masculine. Mais aussi en dehors de toute question religieuse une façon d’assigner les femmes à un modèle comportemental sinon à un uniforme derrière lequel toute identité personnelle et sexuée disparaît.

Ainsi notre siècle offre un vertigineux paradoxe puisqu’il prétend émanciper les femmes, briser les assignations identitaires et sexistes, mais dans le même temps il jette occasionnellement la suspicion sur l’affichage de critères distinctifs évoquant des caractères forts du féminin ou du masculin.

C’est justement de cette confusion et de ces injonctions paradoxales dont il faudrait sortir.

Les femmes sont-elles plus libres aujourd’hui qu’hier ? Oui, évidement ! Mes hommes sont plus conscients et respectueux du statut des femmes dans notre sociétés postmoderne ? Encore oui dans leur écrasante majorité.

Reste la question de la régulation des violences dont les femmes font l’objet. Et celles dont certains sont aussi victimes de la part des femmes.

L’évolution historique de ces réalités est complexe et a connu des avancées comme des régressions. Le mythe du Progrès nous aveugle quand nous le plaquons sur une vision rétrospective des siècles passés et projetons nos angoisses sur un passé mythifié de façon positive ou négative.

En tout cas la place qu’occupaient réellement les femmes dans les sociétés antiques, médiévales durant la Renaissance, le Grand Siècle ou celui des Lumières n’a souvent rien à voir avec cette désopilante caricature d’une lente montée des ténèbres machistes vers la lumière féministe.

Rien que si l’on considère la France du Grand siècle à partir du règne de Louis XIV, les femmes y occupaient une place de premier rang et jouissaient d’un pouvoir considérable. La préciosité chère à Molière avait codifié jusqu’au paroxysme les usages de la société aristocratique et des salons mondains des belles marquises. Une invention aussi intelligente et raffinée que redoutable, qui permettait aux femmes les plus brillantes de tenir à distance leurs prétendants, de multiplier les codes et les rites de la séduction selon la Carte du tendre, et se mettre en scène dans un théâtre très privé et très prisé voué au bel esprit, à la galanterie, aux fastes et aux élégances de la Cour.

précieuses

Combien de favorites, de duchesses et de reines d’un soir rayonnaient ainsi en faisant tournoyer autour d’elles, dans leurs appartements pleins d’apparat, tout un aréopage de satellites masculins en pourpoint, perruque et jabot, au verbe flûté, au visage poudré, maquillés, emplumés, aux mimiques plus maniérées que des folles de music-hall ? Tout cela pour arracher un soupir à ces précieuses pas si ridicules que cela et ces femmes savantes.

Ce sont bien les femmes qui tenaient le pouvoir sur bien des points. Le roi s’en amusait. Elles en usaient parfois avec une jouissance et une cruauté sadique, aussi décomplexée qu’offerte au regard de tous.

On pourrait citer ainsi bien d’autres époques et d’autres lieux que Versailles où les femmes ont dicté leur loi à des hommes réduits à faire les singes pour espérer un jour parvenir à leurs fins.

Evidemment en comparaison notre époque est beaucoup plus trash.

La vulgarité, l’obscénité, l’arrogance, l’insolence, l’impertinence, la désinvolture, l’outrance, la provocation, la transgression, l’exhibitionnisme, le cynisme, la méchanceté gratuite, la fatuité, la vanité sont autant de « vertus » dont il faut savoir user si l’on veut se faire entendre, considérer et respecter. Pas de places les mous, les fades et les faibles !

Plutôt que de cataloguer tous les hommes (et parallèlement toutes les femmes) selon les canons du politiquement corrects et de s’entêter dans une surenchère culpabilisatrice, castratrice et moralisatrice, peut-être serait-il plus constructif de considérer que la recrudescence des violences infligées est un symptôme de dysfonctionnements structurels de nos sociétés.

Au lieu de justifier ces angoisses, ces ressentiments réactifs et la haine mimétique de certaines femmes envers les hommes alimentée par ces violences par des discours idéologiques et victimaires qui essentialisent la gent féminine comme une éternelle victime.

L’enjeu n’est pas comme le voudraient certaines salafistes d’émasculer physiquement ou symboliquement tous les mâles afin de conjurer dans l’espoir de conjurer définitivement ces dérives « machistes » et ces violences. Ni de réclamer vengeance en désignant des coupables dans tous les milieux où le pouvoir couvre d’objectives injustices voire des crimes comme le viol ou le harcèlement sexuel. Encore moins de jeter a priori le discrédit sur l’autorité du mari et du « père de famille » au seul motif qu’une infime proportion des hommes mariés se comportent comme d’authentiques goujats ou commettent des violences envers leur épouse.

Sans reconnaissance sereine et de honnête de l’existence d’une violence féminine spécifique incarnée par ces militantes ultra du « féminicisme », mais aussi par les violences conjugales commises par des femmes à l’égard de leur conjoint, symétriques sinon égales à celles des hommes violents, il est impossible d’opérer un rééquilibrage et de pacifier l’éternelle « guerre des sexes » qui envenime les relations interpersonnelles et sociales et contaminent les discours politiques, selon les logiques du rapport de forces, de la concurrence victimaire, de l’arbitrage des pouvoirs selon les schémas de domination-rébellion, autant de mécanismes qui alimentent le cycle infini de la violence.

C’est aux femmes autant qu’aux hommes de démontrer que nous vivons dans une époque civilisée et toujours civilisable. De prouver que chacun est capable de rencontrer l’autre, de respecter les écarts et les différences pour ce qu’elles ont de positivement structurant, sans inhiber la dynamique du désir, de rencontre et de la relation, et sans ignorer la nécessité de la limite comme fondement de la sémantique identitaire, amoureuse, conjugale, sociale, juridique et politique.

Mais aussi de ne pas céder aux injonctions de l’esprit du temps. A cette dictature morale de type totalitaire du politiquement correct. Une morale faite d’injonctions discursives et comportementales qui dénaturent la dynamique relationnelle, faussent l’expression et la considération envers toute forme d’altérité, figent les modèles de l’agir personnel et collectif selon une hypervalorisation de l’image, du paraître et de la norme. Et stimulent en retour toutes les déviations, toutes les décompensations, toutes les transgressions et tous les désordres.

un-ou-une-masculin-feminin-genre-grammatical-vocabulaire-expression-orthographe

Il serait temps qu’hommes et femmes s’accordent non pas sur des comportements admis ou proscrits, tous également fondés sur la suspicion ou le rejet, mais sur une éthique commune de la dignité, du respect bienveillant de l’autre et de la coresponsabilité. Au lieu de rejeter indéfiniment la faute sur l’autre dans des processus de victimisation, de culpabilisation, de condamnation qui engendrent toujours plus de suspicion, plus de haine et plus de violence.

Il serait temps qu’hommes et femmes en conflit les uns envers les autres s’accordent sur la nécessité de conjurer leurs peurs réciproques par effort commun de reconnaissance, de pacification, d’apprivoisement et de rééducation mutuels, plutôt que de nourrir trop facilement des schémas réactifs de type misogyne ou misandre. Ou de nourrir les rapports de force, la guerre des sexes et la justification du désir de domination de l’autre.

Et pour cela, il faut impérativement sortir des schémas binaires, identitaires et sexistes. Des logiques qui conduisent à pérenniser artificiellement des stéréotypes sociaux et comportementaux fondés sur le genre associé au sexe, des stéréotypes aujourd’hui totalement démentis par les discours et les modèles dominants, mais aussi et surtout par l’évolution objective, historique, culturelle, sociale et anthropologique des sociétés postmodernes occidentales.

Les changements rapides imprimés par les évolutions sociétales liées à l’identité, aux différents types d’unions, de familles, à la sexualité, à la procréation, à la filiation, à la parentalité, à la responsabilité partagée ou fragmentée au sein de la société ont totalement bouleversé les arcanes traditionnels qui fixaient la norme des pouvoirs et de l’ordre établis. En assignant hommes et femmes à des identités, des rôles et des comportements précis.

La rapidité et la profondeur de ces changements affectent non seulement nos représentations culturelles sur le masculin et le féminin, Elles réveillent aussi des peurs archaïques sur l’être personnel et l’être social de chacune et de chacun. Les angoisses souvent inconscientes que ces bouleversements génèrent se traduise souvent par un retour du refoulé, par des crispations et des réactions agressives, une volonté de se réapproprier de façon outrancière ou falsifiée une identité, une légitimité, un statut sources de pouvoir et d’autorité qui paraissent perdus.

Les hommes sont autant sinon plus en crise aujourd’hui que les femmes avant d’accéder à leur émancipation. Les modèles traditionnels du masculin sont désavoués et donc la plupart du temps surjoués par bon nombres d’adolescents pour satisfaire un désir d’affirmation égotique et sociale.

Face aux revendications du féminisme émerge une forme symétrique toute aussi idéologique, sociale et politique de masculinisme, notamment aux Etats-Unis. Un mouvement qui vise à compenser les effets dévastateurs sur les hommes des excès du féminisme. Un effort de reconstruction et de réappropriation identitaire collectif au travers notamment de « groupes d’hommes » destinés à stimuler la confiance en soi, le sentiment d’appartenance à une même fratrie et guérir les blessures narcissiques infligées aux hommes par l’agressivité et la culpabilisation féministes de leurs mères, de leurs sœurs ou de leurs conjointes.

58ad70083adc9

Ce mouvement tend à promouvoir une forme d’homophilie réparatrice destinée à compenser le manque de proximité amicale, sensuelle et affective éprouvée au contact intime mais non sexuel avec d’autres hommes. Une façon d’intégrer, d’accepter et de vivre une sensibilité et une émotivité que beaucoup d’hommes se refusent ou se voient refuser, sinon en devenant le jouet de femmes perverses qui cherchent à les déviriliser ou les manipuler.

Parallèlement, les hommes en quête d’eux-mêmes réapprennent les vertus du défi, de l’audace, du courage, la maîtrise de la force physique, de la compétition, de la combativité, de l’endurance, de la réussite, de la fierté, sinon d’une certaine forme positive d’agressivité, autant de vertus masculines qu’ils s’étaient habitués à refouler ou réprimer et réapprennent à vivre de façon honorable et positive. Une façon de s’émanciper des injonctions contemporaines dévirilisantes liées aux « persécutions » féministes, aux discours culpabilisants identifiant la violence à la masculinité, au brouillage des genres, et à une certaine forme consciente ou insidieuse de féminisation des hommes.

Au final, les violences que l’on désigne uniquement comme des crimes appelant sentence collective et justice impartiale sont bien plus des stigmates d’une société en souffrance et d’individus qui peinent à remodeler leurs repères.

Plutôt qu’une volonté impitoyable de traquer en chaque homme ou en chaque femme les signes d’une violence plaquée par les projections victimaires, il serait bien plus juste et efficace de cultiver l’indulgence, la bienveillance, la patience, la modération. Autant de vertus personnelles mais aussi culturelles et sociales qui relève d’une forme d’amour et de pardon.

Hommes-femmes-qui-est-le-plus-fort_imagePanoramique647_286

Hommes et femmes sont blessés. Inutile de tirer sur un cortège d’ambulances. A nous de réparer, de faire preuve de vigilance mais aussi de magnanimité. De renoncer à condamner en bloc l’autre sexe à cause de comportements isolés et de crimes qui doivent être prévus et sanctionnés.

Ne nous identifions pas à ce désir, juste a priori, de justice. Un désir qui au lieu d’apporter la paix peut nourrir la guerre, le désordre et les violences de tous ordres. Car si ce désir traduit un amour bon et légitime pour soi-même, il ne peut y avoir de justice qui ait de vraie valeur sans l’exercice parallèle d’une certaine miséricorde.

Sans elle, individus et sociétés se condamnent à répéter sempiternellement le cycle meurtrier de la violence, pour finir un jour par s’autodétruire.